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de ne consentir à aucune mesure militaire que l’Allemagne pourrait interpréter comme une provocation. Il faut laisser au gouvernement allemand toute la responsabilité et toute l’initiative de l’attaque. L’opinion anglaise n’admettra l’idée de participer à la guerre que si l’agression vient indubitablement de l’Allemagne… De grâce, parlez dans le même sens à Sazonow.

— Je ne lui tiens pas d’autre langage.

À ce moment, survient l’ambassadeur d’Autriche. Il est pâle. La raideur, qu’il affecte envers nous, contraste avec la souple et courtoise affabilité qui lui est habituelle.

Buchanan et moi, nous essayons de le faire parler.

— Avez-vous reçu de Vienne, lui dis-je, de meilleures nouvelles ? Pouvez-vous nous rassurer un peu ?

— Non, je ne sais rien de neuf… La machine roule.

Sans vouloir s’expliquer davantage, il répète sa métaphore apocalyptique :

— La machine roule.

Comprenant qu’il n’y a pas à insister, je sors avec Buchanan. Je préfère d’ailleurs ne voir le ministre qu’après qu’il aura reçu Pourtalès et Szapary.

Un quart d’heure plus tard, je me fais annoncer chez Sazonow. Il est blême et vibrant :

— J’ai très mauvaise impression, me dit-il… très mauvaise. Il est clair maintenant que l’Autriche refuse de causer avec nous et que l’Allemagne l’excite sous main.

— Alors, vous n’avez rien pu tirer de Pourtalès ?

— Rien, sinon que l’Allemagne ne peut pas abandonner l’Autriche. Mais est-ce que je lui demande de l’abandonner ? Je lui demande simplement de m’aider à dénouer la crise par les moyens pacifiques… Du reste, Pourtalès ne se possédait plus ; il ne trouvait plus ses mots ; il bégayait ; il avait l’air effaré. Pourquoi cet effarement ?… Ni vous ni moi, nous ne sommes ainsi ; nous gardons notre sang-froid, notre self-control.

— Pourtalès s’affole, parce que sa responsabilité personnelle est sans doute engagée. Je crains qu’il n’ait contribué à lancer son Gouvernement dans cette terrible aventure, en affirmant que la Russie ne tiendrait pas le coup et que, si par impossible elle ne cédait pas, la France dénoncerait l’alliance russe. Il voit maintenant vers quel abîme il a précipité son pays.

— Vous êtes sûr de cela ?