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et des jeunes filles y forment, sous la direction de Clara Foy, une petite société avec des règles précises, empruntées toujours aux sœurs de Saint-Charles. Elias habitent ensemble et se consacrent à l’éducation des jeunes filles abandonnées. Deux ans plus tard, cinq autres dames de la même ville se groupent autour de Françoise Schervier pour mener une vie commune dans une petite maison pauvre des faubourgs. Aux œuvres de bienfaisance et aux soins des malades, elles joignent l’assistance des femmes dévoyées. Et déjà voici qu’elles peuvent hospitaliser une trentaine de ces malheureuses.

Ces dames rhénanes de Cologne, de Trêves, d’Aix-la-Chapelle étaient des personnes de vraie dévotion, qui vivaient en communauté, dans l’ombre, à l’imitation des sœurs de Saint-Charles, et pourtant leur piété était bien à elles, d’un caractère romanesque, fort étranger à celles qui leur servaient de modèle. Unir la poésie à la religion, vivre une sorte de petit poème, tel était le plan de ces mystiques du Rhin. Elles cédaient à leur penchant romantique, tout en se dévouant à la pauvreté des humbles. Au milieu de toutes sortes de soins d’ordre élémentaire et d’utilité, elles cultivaient des pensées douces, nuancées, sans trop d’éclat, pleines d’impressions tendres. La piété dans tous ces foyers de la charité rhénane a un caractère particulier et charmant. C’est un mélange de mysticisme et de raison, pas un mysticisme d’hôpital ni de cloître, un mysticisme joyeux, sensible aux charmes de la nature, des arts et de l’amitié. Elles suivent un roman idéal, accomplissent tout un rêve.

L’inconvénient, c’est peut-être que ce dévouement laïque manque d’esprit de suite. Quels grands efforts pour de petits effets ! Que d’idées et d’essais avortés ! Ces groupements de dames, dans les villes du Rhin, sont un épisode du romantisme. Il y fermente en secret quelque chose de la Sefmsucht qui trouble alors de ses désirs infinis les écrivains allemands. Voyez* quel accueil elles réservent à cette Louise Hensel, l’amie de Tieck et de Schlegel, la fille d’un pasteur prussien du Brandebourg, qui, pendant tout un demi-siècle, va de ville en ville, sur le Rhin, sans jamais se fixer ni trouver la règle de sa vie. Elles récitent avec enthousiasme les poésies de cette convertie romantique, et lui font fête quand elle passe tourmentée, inquiète, du petit cénacle de Cologne à l’hôpital de Coblence et de l’hôpital de Coblence au pensionnat de Saint-Léonard.