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En 1860, voici le dénouement :


(Elle va lentement vers la porte, puis se tournant vers Fabrice).
CLORINDE. — Adieu.
FABRICE (lui tend la main à demi, s’arrête, et dit à Célie) :
Ma sœur… Donne la main à cette pauvre femme…


…A Célie ! A Célie la pure jeune fille, de vertu si fière, si hautaine !… Célie donnant la main à Clorinde, sur l’ordre de son frère ! Voilà qui est nouveau. Certes, ce n’est pas la réhabilitation, mais c’est au moins le pardon. Le jeune auteur de 1845 avait été moins généreux. Plus tard, l’homme mûr ira plus loin encore dans cette voie de la pitié… Il acceptera qu’on puisse rencontrer l’honnêteté dans une famille qui s’est placée à côté de la loi (Madame Caverlet) et qu’on puisse constater de la vertu dans une maternité en dehors de la loi (Les Fourchambault). La vie est un grand professeur d’indulgence.


III

Nous venons d’admirer Augier en lutte contre l’amour corrompu, voyons-le maintenant aux prises avec l’argent corrupteur. Il est permis de se borner à signaler seulement sa première attaque : la Pierre de Touche, dont lui-même faisait peu de cas, et d’arriver tout de suite à la Jeunesse, pièce incomplète et timide, dans laquelle cependant se trouve le caractère de Mme Huguet, lequel, dans la galerie d’Augier, le cède à peine en puissance, sinon en relief, à celui de Maître Guérin. Malheureusement, le sujet, superbe, est traité en grisaille. Il semble, tant la différence est grande entre la pensée et l’exécution, qu’on se trouve en présence du croquis incertain et au crayon d’une eau-forte puissante, ou d’un Goya traité au pastel.

Mme Huguet a fait, toute jeune, un mariage d’amour, un vrai ; son fiancé et elle s’adoraient et chacun avait refusé deux riches partis. Le mari était employé dans un ministère, la femme avait reçu une dot rondelette, et ceci s’ajoutant à cela, ils auraient pu vivre une existence parfaitement heureuse. Deux enfants leur étaient nés : la vie leur souriait. Mais Mme Huguet tenait à paraître et comme elle était une parfaite honnête femme et son mari un brave homme médiocre qui resta confiné dans le plus modeste emploi, le ménage tomba dans la