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de nouveau et elle se trouva à ses côtés. Ils montèrent en voiture ; Archer regarda sa montre : elle avait été absente trois minutes.

Assis côte à côte sur le banc d’un bateau qui ne transportait que de rares voyageurs, ils ne trouvèrent rien à se dire ; ou plutôt, ce qu’ils avaient à se dire se communiquait mieux dans le silence.

Quand les roues du vapeur commencèrent à tourner, que les quais et les entrepôts reculèrent dans le brouillard d’été, il sembla à Archer que tout le vieux monde familier reculait aussi. Il aurait voulu demander à Mme  Olenska si elle partageait cette impression, l’impression qu’ils partaient pour un long voyage, dont peut-être ils ne reviendraient jamais. Mais il craignait en parlant de troubler l’eau dormante de sa confiance. À la vérité, il ne voulait pas trahir cette confiance… Pendant des jours et des nuits, la mémoire de leur unique baiser avait brûlé ses lèvres, et la veille encore, quand il se dirigeait vers Portsmouth, le souvenir d’Ellen le traversait comme une flamme ; mais, maintenant qu’elle était là et que tous deux se laissaient ainsi porter au courant de l’inconnu, ils semblaient avoir atteint cette mystérieuse et intime communication que la moindre parole peut rompre.

Quand le bateau tourna vers la mer, ils sentirent le souffle de la brise. De molles ondulations ridèrent la baie, puis l’écume parut à la crête des vagues. De lourdes vapeurs couvraient encore la ville, mais au delà s’étendait un monde nouveau d’eaux remuantes, de promontoires dressant leurs phares sous le soleil. Mme  Olenska, appuyée au rebord du bateau, buvait la fraîcheur par ses lèvres entr’ouvertes. Elle avait roulé un grand voile autour de son chapeau, mais le visage restait découvert, et Archer fut frappé par son expression de tranquille gaieté.

Dans la salle à manger du petit hôtel, ils trouvèrent une bande en innocente partie de plaisir : des instituteurs et maîtresses d’école en congé, leur dit l’hôtelier.

— Impossible de causer dans tout ce bruit, dit Archer. Je vais demander une petite salle où nous serons seuls.

Mme  Olenska ne fit pas d’objection. La pièce où ils entrèrent s’ouvrait sur une longue véranda de bois, que venait battre la mer : ils s’assirent à une table couverte d’une grosse nappe à carreaux rouges sur laquelle étaient posés un flacon de pickles