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propre ; ils auraient aussi bien pu avoir entre eux la moitié du monde.

— Tout est inutile, puisque vous repartirez, s’écria-t-il.

Elle restait immobile, les paupières baissées :

— Je ne partirai pas maintenant, murmura-t-elle.

— Pas maintenant, mais un jour… Un jour que vous prévoyez déjà ?

Elle leva sur lui des yeux clairs.

— Je vous le promets, je ne partirai pas tant que vous aurez du courage, tant que nous pourrons nous regarder en face loyalement, comme aujourd’hui.

Il retomba sur sa chaise.

— Quelle vie pour vous ! gémit-il.

— Faudra qu’elle fasse partie de la vôtre ?…

— Et la mienne aussi fera partie de la vôtre…

Elle fit signe que oui.

— Et ce doit être tout… — pour l’un et pour l’autre ?

— Ce sera tout, n’est-ce pas ?

Maintenant ils avaient tout dit. Il se dressa, oubliant son angoisse, ne voyant plus que la douceur infinie de ce visage. Elle se leva aussi, non pour aller au-devant de lui ni pour le fuir, mais tranquille, calme comme si le plus dur de sa tâche était accompli, et qu’elle n’eût plus qu’à attendre : si tranquille, que tandis qu’il s’avançait vers elle, ses mains ouvertes semblaient le guider au lieu de l’écarter. Leurs mains se joignirent, et les bras tendus d’Ellen le tinrent assez éloigné pour qu’il pût lire tout ce qu’exprimait ce visage.

Se tinrent-ils ainsi longtemps ? Le temps pour Ellen de communiquer tout ce qu’elle avait à dire, et pour lui de sentir qu’une seule chose importait : ne rien hasarder qui pût faire de cette rencontre la dernière. Il devait confier leur avenir à Ellen, sans rien lui demander d’autre que de le garder serré dans ses mains closes.

— Je ne veux pas, je ne veux pas que vous souffriez, dit-elle avec un sanglot dans la voix en retirant ses mains.

Et lui suppliait :

— Vous ne partirez pas ? Vous ne partirez pas ?

— Je ne partirai pas, dit-elle.

Cependant la bande des jeunes professeurs quittait la table, prenait ses chapeaux, se mettait en branle pour le quai. Le