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l’ombre, mais d’abord pour mieux regarder du côté du lit. Elle la repose, saisie d’un tremblement. Une nouvelle plainte est venue de ce lit. Elle avance et voit les yeux de la mourante fixés sur elle, l’un grand ouvert, l’autre avec sa paupière à demi fermée.

— Ma tante ?… dit-elle d’une voix étouffée par la terreur, après un silence durant lequel le gémissement ne se renouvela point. Ma tante !… répéta-t-elle, avec plus de force. Dans son désarroi, elle oubliait que la paralytique n’avait plus l’usage de sa langue. La parole lui reviendra sans doute, avait annoncé le médecin, « mais dans quelques jours. » Odette cependant marchait vers le lit. Les yeux continuaient de la fixer, avec cette inégalité sinistre de leur ouverture, et d’un regard d’autant plus effrayant pour elle qu’il était plus indéchiffrable. Qu’avaient-ils vu, ces yeux, de l’action scélérate ? Qu’avait compris cette intelligence qui ne pouvait plus se traduire au dehors ? « Ne la contrariez pas surtout, avait dit encore le médecin. Si la parole manque, je crois la pensée intacte. » Cette phrase revenait à la mémoire d’Odette, tandis qu’elle demandait, à nouveau, comme si l’autre avait pu lui répondre : « Ma tante ? Vous souffrez ? » Mais déjà les paupières de la malade se refermaient sur les prunelles. La respiration se régularisait. Mlle de Sailhans s’était de nouveau endormie. Le temps de reprendre presque machinalement le geste interrompu, de reposer la lampe dans son coin abrité, de remettre le trousseau de clefs dans la pochette du jupon pendu au portemanteau du cabinet, d’en refermer la porte, et Odette avait repris sa place de garde-malade au pied du lit, non sans avoir épié, la tête penchée vers le salon, si ces allées et venues n’avaient point réveillé la Sœur.

« Non. Elle dort aussi, » s’était-elle dit, en constatant qu’aucun bruit n’arrivait à travers la cloison.

Maintenant, assise dans la bergère, elle méditait sur l’acte irréparable qu’elle venait d’oser. Que signifiait cette plainte de sa tante, et ce regard fixe, suivi d’un assoupissement presque immédiat ? La vague stupeur d’un demi-réveil sans conscience ? Ou bien un éclair de lucidité, interrompu aussitôt par une défaillance physique ? Que demain, après-demain, ce retour à une vie plus normale prophétisé par le médecin, se produisit, la malade retrouverait-elle le souvenir de cette scène : sa nièce brûlant son