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testament ? Mais qu’en avait-elle vu ? Cette plainte n’était-elle pas l’appel inarticulé d’une indignation, incapable de se manifester autrement, devant une vision d’horreur ? Mais alors, à peine revenue à elle, dès que la malade pourrait non pas même parler, mais un peu écrire, elle ferait vérifier par la Sœur le contenu du tiroir. Elle aurait là une preuve qu’elle n’avait pas rêvé. A supposer même qu’elle n’eût rien vu, rien compris, le danger restait le même. Aucun doute qu’avec sa méfiance coutumière, aussitôt le mouvement retrouvé, — et, d’après le médecin, elle le retrouverait, — Mlle de Sailhans n’allât à son secrétaire vérifier les billets et les valeurs qu’elle gardait là. Elle voudrait revoir son testament. Qui pourrait-elle accuser alors, sinon la seule personne qui eût intérêt à le supprimer et qui l’avait veillée dans cette première nuit d’après son attaque ? A supposer même qu’elle n’accusât qui que ce fût, elle voudrait le refaire, ce testament. Elle trouverait le moyen, même incapable d’écrire et presque de parler. Quoique Mme de Malhyver ignorât les articles 967 et suivants du Code civil, elle avait entendu raconter, dans son monde, trop d’histoires d’héritage, pour ne pas savoir qu’il y a des testaments dictés. Elle vit distinctement en pensée la mourante faisant venir Métivier, le notaire, avec quatre témoins, et cela, même si tout à l’heure elle ne l’avait pas reconnue et observée. Mais si elle l’avait reconnue ? Odette voyait maintenant son mari dans cette chambre, au chevet de ce lit, et sa tante la dénonçant. Un nouveau frisson de terreur la parcourut. Le vague malaise, éprouvé ces derniers mois devant l’étrangeté des allures de Géraud, l’avait mise vis à vis de lui trop souvent dans des états appréhensifs. Ces impressions, comme accumulées quotidiennement dans sa sensibilité, produisaient en elle une tension émotive qui lui rendait insupportable l’idée d’une confrontation avec lui, et sur une pareille accusation. En ce moment, et comme elle passait ses mains sur son visage, afin d’exorciser ce cauchemar et de se reprendre, son regard rencontra un verre posé à même le marbre de la table de nuit, et qui contenait un liquide. Pour soutenir le cœur affaibli de la malade, le médecin avait envoyé chercher, chez le pharmacien, une préparation de digitaline. Il avait voulu que le verre fût gradué, pour mesurer avec plus d’exactitude la quantité d’eau où il avait lui-même compté les gouttes. Puis il avait placé le flacon à étiquette rouge sur la cheminée, en