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pour le bon Dieu. Il nous récompensera, si bien que nous n’avons pas de mérite. Allez dormir en paix. Moi, j’ai bon espoir. Demain vous retrouverez votre chère vieille tante bien améliorée. Si elle ne parle pas encore, elle entendra, elle comprendra. Je lui dirai qu’il ne faut pas qu’elle vous donne des émotions comme ce soir. Pauvre chère dame ! Vous êtes toute pâle, toute frissonnante. Rentrez. Rentrez…

Odette écoute ce discours, comme dans un rêve. Comme dans un rêve, elle laisse la Religieuse l’aider à remettre son chapeau et sa fourrure déposés dans le salon. Comme dans un rêve, elle descend l’escalier. Elle monte dans l’automobile. Elle a rendu sa scélératesse plus scélérate encore, s’il est possible, en n’ayant pas l’énergie d’agir elle-même. Une autre va-t-elle être l’innocente exécutrice de l’assassinat ? Il est encore temps peut-être de retourner rue de l’Université. — Mais non. Il faudrait parler, avouer, et si la chose est déjà faite, si la malade a bu ?… L’automobile roule toujours. Il y a pourtant des hasards. Un verre peut tomber et se briser. Mlle de Sailhans peut ne pas se réveiller de la nuit. Elle peut avoir une autre attaque dans son sommeil, et la jeune femme se surprend à se prononcer tout bas une parole dont elle n’aurait su dire si elle exprimait la crainte ou l’espérance :

— « Le destin est maître. »

Ces mots empruntés au ressouvenir d’une affiche de théâtre, que de fois Larzac les lui avait répétés, lorsque les deux amants se retrouvaient pendant la guerre et qu’elle lui montrait ses terreurs du danger où il allait rentrer. Le hardi jeune homme les disait avec un sourire de joyeuse bravoure qui rendait de la force à sa maîtresse. Cet adage d’insouciance la faisait frémir à cette minute en lui donnant une sensation bien étrangère à sa nature de Parisienne, passionnée, mais frivole, — celle du mystère de la fatalité.


II. — GÉRAUD DE MALHYVER

Les Malhyver habitaient, dans la partie de la rue du faubourg Saint-Honoré qui va de l’Elysée à la rue Royale, un hôtel acheté à un maréchal de l’Empire par l’arrière-grand-père de Géraud, lors de son élévation à la Pairie en 1816. Ce Malhyver avait émigré, dès le mois de juillet 1789, avec le Comte d’Artois et le