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brusquement réveillée du cauchemar d’anxiété subi durant le trajet d’une maison à l’autre, et, d’une voix mal assurée :

— Je l’ai laissée endormie, répondit-elle. Puis, se retournant vers le corridor qui, du palier, menait à sa chambre, elle ajouta : Si vous permettez, je vais reposer moi-même. Il est minuit. C’est un peu tard pour Elise. — C’était le nom de sa femme de chambre. — Bonsoir, cher ami.

— Envoyez Elise se coucher, dit-il en l’arrêtant d’un geste. Je ne vous retiendrai pas bien longtemps. Seulement… — Et sa voix se fit grave. — J’ai besoin de vous parler.

— Me parler ? interrogea Odette : mais de quoi ?

On a vu qu’elle éprouvait, en face de son mari, depuis qu’il était revenu de la guerre, une appréhension, et qu’un indéfinissable changement dans l’arrière-fond des prunelles de cet homme, dans sa voix, ses manières, son être tout entier, la déconcertait comme une énigme. Quel en était le mot ? On a vu encore qu’elle se répondait quelquefois : « Le mot, c’est Larzac. » Etait-ce un interrogatoire sur Larzac qu’annonçait ce désir, ainsi affirmé, d’un nouvel entretien, et à cette heure ? Le mieux était de le savoir tout de suite. D’ailleurs, ses nerfs, déséquilibrés par l’affreuse action qu’elle venait de commettre et l’attente du résultat, la laissaient désarmée devant une volonté forte, comme celle que révélait l’accent de son mari.

— Soit. Je renvoie Elise, ajouta-t-elle, et je reviens.

Resté seul dans la chambre, Malhyver parcourut du regard la bibliothèque haute qui couvrait l’un des murs, du plancher jusqu’à la corniche. Les livres qui en garnissaient les rayons étaient si disparates et classés si capricieusement qu’il eut de la difficulté à trouver l’ouvrage qu’il cherchait ainsi des yeux. A le voir absorbé de la sorte, Odette aurait compris le chimérique de ses craintes : Elle que la seule pensée d’une trahison possible de son amant agitait jusqu’à la frénésie, elle ne s’y serait pas trompée : ce regard jeté sur ces rangées de livres était celui, non pas d’un jaloux torturé par l’idée fixe, mais d’un méditatif emporté dans un de ces examens de conscience qui marquent les époques solennelles d’une vie.

Il y avait de tout dans cette bibliothèque, qui n’était celle ni d’un homme du monde, ni d’un artiste, ni d’un savant. Mais l’artiste y eut trouvé des poètes, des dramaturges, des