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souvent ce désir de se distinguer par l’intelligence ne s’accompagne pas, chez l’aristocrate qu’il domine, de dons véritables. N’étant pas astreint, par la nécessité du métier, à spécialiser ses études, il les pousse au hasard de sa fantaisie, et prend aisément ses engouements pour des vocations. La science, la littérature, l’art le sollicitent. Il suit les cours de la Sorbonne et du Collège de France. Il y rencontre des jeunes gens dont l’ardeur mentale suscite la sienne. Ce goût de dédaigner qui est au fond de lui et qu’il ignore, lui fait préférer, parmi les théories en vogue, les plus nouvelles. Il s’habitue ainsi à penser pour se séparer. Ce n’est plus la vérité ni la beauté qui fait pour lui le prix d’une œuvre, c’est la rareté. De là bientôt, dans le résultat d’études conduites ainsi, une sensation de vide, d’insuffisance, et comme l’âme du chercheur reste tout de même fervente, il se tourne ailleurs. D’autres études le tentent, d’autres doctrines, d’autres œuvres. N’ayant pas compris son erreur précédente, de nouveau il choisit la rareté, pour rencontrer, au terme de cette nouvelle poursuite, une lassitude pareille. C’avait été l’histoire de Malhyver, qui, encore une fois, devait être résumée ici. Elle situera la conversation, qu’il allait avoir avec sa femme, lui, sur le plan de l’intelligence, elle, sur celui de la passion. Cette indication aura fait comprendre, aussi, pour quels motifs ce garçon, remarquablement appliqué et sérieux, se trouvait, à trente-cinq ans, avoir mené la vie d’un oisif et d’un inutile : l’adaptation à une activité ordonnée lui avait été rendue deux fois difficile, par sa naissance d’abord, et puis, par son dilettantisme entre son monde, les laboratoires et les cénacles. Paradoxale destinée dont cinq ans de guerre avaient encore accentué l’étrangeté ! Il en portait le symbole sur lui, dans le contraste entre sa tenue de soirée, qui était celle d’un Parisien de haute vie, et l’expression de son visage pensif, qui eut été celui d’un rêveur abstrait de cabinet, surtout à cette minute où il fouillait dans sa bibliothèque, debout sur un escabeau approché pour atteindre un des rayons d’en haut. Mais sa terrible cicatrice le marquait, même dans cette occupation d’homme d’étude, d’un caractère tragique. Il avait enfin découvert et retiré de sa tablette le volume désiré qui portait sur son des rouge et fatigué ce titre humblement scolaire : Manuel de pathologie interne. Cette fatigue, et aussi la certitude avec laquelle Malhyver le feuilleta pour s’arrêter à une page particulière, attestait qu’il avait