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Un rire nerveux souligna l’ironie de cette réponse. Elle avait écouté son mari, avec un étonnement de plus en plus hostile et dédaigneux. Jusqu’ici le côté spéculatif du caractère de Géraud ne l’avait jamais menacée dans sa vie de plaisir et de passion. Tout au contraire, l’atmosphère d’idées abstraites où s’attardait son mari avait été pour elle une sécurité. Cet irréalisme l’avait rendu indulgent, indifférent, facile à abuser. Et voici que cette idéologie se dressait soudain devant elle, comme un obstacle absurde. Le double crime qu’elle venait d’accomplir, ce testament brûlé, ce poison versé, continuait de la surexciter. Au lieu d’en avoir du remords, dans ce moment, elle en éprouvait un étrange sentiment de supériorité. Elle du moins, elle était dans la passion, et, cette passion la rendant agressive, elle insistait :

— Mais voyez donc la réalité telle qu’elle est. Nous ne manquons pas d’amis qui passent des mois et des mois sur leurs terres. Est-ce qu’ils n’ont pas des ennuis de fermages, tout comme nous ? Est-ce que leurs paysans votent mieux que les nôtres ? Vous ne voulez pas faire de la politique, n’est-ce pas ? Alors, qu’est-ce qui reste ? L’école libre où l’on installe une malheureuse petite sécularisée pour faire la classe à douze enfants ? Les patronages de paroisse à soutenir ? La grand’messe où figurer le dimanche au premier banc de l’église ? Avec les idées que je vous ai toujours connues, je ne vois pas que vous puissiez…

— Ça, c’est un autre point, interrompit-il. Nous le toucherons un autre jour. — Et, presque douloureusement : — Vous plaisantez, Odette, quand je vous parle, moi, avec le plus sérieux de moi-même. Hé bien ! oui. Ce sentiment que je peux, que je dois être un chef, sur le domaine héréditaire, je l’ai. Je l’ai, en dépit des misères et des médiocrités que vous rappelez. Je les connais. Il ne s’agit pas de vassaux, ni de retour à des choses mortes, ni d’une parodie de tradition. Il s’agit… — En parlant, il s’échauffait et marchait dans la pièce. Il ne voyait plus Odette. Il ne voyait que sa pensée. — Il s’agit que je suis revenu de l’armée avec une résolution arrêtée, celle de servir dans la paix comme j’ai servi dans la guerre. Et l’on ne peut servir qu’avec ce que l’on est. Je suis l’héritier des Malhyver. Je n’ai pas choisi cela. Je le suis. Comme tel, je représente une force, pas ici, pas à Paris, où je n’ai jamais été qu’un homme riche, avec