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n’en sort même qu’à deux heures du matin. A-t-elle, au milieu de tout cela, l’esprit aux romans, aux œuvres d’imagination ? Dans le cours de cette année 1848, elle n’écrit que des Lettres au Peuple… ou au Pape ; des Adresses à la classe moyenne, des Apostrophes aux bourgeois, et des glorifications de Barbes. Un seul roman est signé de son nom, un des plus charmants d’ailleurs, parmi les romans paysans : La Petite Fadette. Il parut dans le Crédit. Nous sommes bien loin de la Revue des Deux Mondes.

En 1851, seulement, on put y retrouver son nom, F. Buloz ayant acquis de M. Lévy le droit de publier le Château des désertes. Il l’annonce à son ancien collaborateur, en se félicitant de le voir revenir, même indirectement, à la Revue après dix ans d’absence : « C’est une des meilleures choses que vous ayez faites, du moins de celles qui me plaisent le plus, lui écrit-il ; cela m’a reporté de douze ou quinze ans en arrière, et je vous assure que cela a été un véritable bonheur pour moi, je ne veux pas vous le cacher, quoi que vous puissiez en penser. Je ne désire qu’une chose, c’est que vous soyez aussi disposée que moi à effacer nos années de séparation. Pourquoi, en effet, ne le seriez-vous pas ? S’il en était ainsi, je vous demanderais dès aujourd’hui votre prochain roman pour la Revue, qui a beaucoup grandi depuis deux ans, et qui fera tout ce qu’elle pourra pour vous attirer[1]. »

À cette proposition si franche, l’écrivain se dérobe : revenir à la Revue ne lui serait pas facile, quant à présent ; d’ailleurs, quand George reviendra-t-elle même au roman ? elle n’en écrit plus. « J’ai d’une part mes Mémoires, de l’autre des pièces de théâtre en train. Je ne suis plus forcée de piocher comme autrefois, et je suis de plus en plus difficile envers moi-même pour le choix des sujets… (Elle ne veut pas engager sa collaboration, c’est clair.) Quant à mes anciens griefs, je crois que, si je les cherchais dans ma mémoire, je les y retrouverais, mais je les ai voulu oublier dans tout ce qui m’est personnel, le jour où je vous ai donné une poignée de mains pour ainsi dire sur la tombe de votre pauvre enfant. Ne me reparlez donc pas de choses dont je ne veux pas me souvenir, et croyez-moi, (en dehors de l’opinion et des questions non littéraires, c’est-à-dire politiques et sociales, comme on dit aujourd’hui) toute à vous de cœur[2]. »

  1. Collection S. de Lovenjoul, inédite.
  2. 21 février 1851, inédite.