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me charger pour vous d’un monstrueux colis de félicitations. À vrai dire, il semble que vous sortez d’un duel, où, ayant affaire à un adversaire traître, vous vous êtes brillamment tiré d’affaire, rien que par votre valeur. On voudrait vous serrer la main, vous embrasser ; quant à Elle, c’est écrasant, sans nul échappatoire ; elle a véritablement reçu en ce monde la punition de ses criminels instincts ; le trait le plus sanglant de tout, selon moi, est cette phrase : « Vous parlez si souvent de chasteté que cela devient indécent… » Il me semble que c’est le dard qui l’atteindra en tous sens… Je ne crois pas qu’il existe l’exemple d’une réplique en calomnie d’un tel accent modéré, atteignant une telle portée de justice. Si elle subit cette lecture, elle, Olympe, sans tomber malade, il faut la tenir pour invulnérable. »[1]

Tomber malade ! Mme Jaubert est loin de compte. Jamais George ne s’est mieux portée, et lorsque le sommeil lui laisse quelques loisirs, elle s’occupe à conseiller et à diriger ses paysans.

Ulrich Guttinguer, lui aussi, s’inquiète de ce que pense George du livre de Paul, George et « son entourage. » — « Personne de la presse n’en parle, et je reconnais là l’influence satanique ou sadanique… » Il est très touchant, vraiment, de constater l’émotion des amis du pauvre Musset à cette époque, et leur animosité à l’égard de George. C’est à qui félicitera Paul, s’agitera, jettera l’anathème à la femme coupable : « Que dit-elle ? » — « S’en relèvera-t-elle ? — N’est-elle pas foudroyée ? » — Et du côté de George, la charmante apathie que nous connaissons, l’indifférence parfaite. Considérant tout cela froidement aujourd’hui, — soixante ans après, — on en vient à croire que si la passion anima les amis de Musset, George écrivit Elle et lui sans passion, et uniquement parce que le roman était éclos à point, à son heure, dans son cerveau. Elle l’écrit rapidement, d’affilée, — en un mois, — et ensuite… elle se remet à un autre travail[2]. Les polémiques qu’elle fera naître, les répliques que son livre suscitera, les blessures qu’on tentera de lui causer à propos de ce livre, tout cela passera au-dessus d’elle, — ou au-dessous, — et ne l’atteindra point. — Son livre écrit, elle commence Jean de la Roche, et puis… elle pèse ses moutons.

  1. Inédite.
  2. Elle confie à F. Buloz en août 1859 : — « L’envie de faire un roman m’étant venue, j’ai cru devoir me laisser aller… »