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pourront manquer de se reconnaître. D’ailleurs, la dame les y aidera. Si ce n’était cette crainte, je ne pourrais manquer d’être électrisée par des pages si belles, et si bien écrites. Il y en a plusieurs d’étonnantes ; mais, si j’avais été consultée, je t’aurais engagé à ne pas oublier la scène étrange qui s’est passée entre elle et moi, à l’occasion du départ pour l’Italie.

« Je t’ai raconté cent fois qu’avant de partir, ton frère m’avait demandé mon consentement à ce triste voyage, et que je l’avais obstinément refusé ; enfin, voyant mon désespoir, il s’est jeté à mes genoux en me disant : « Ne pleure pas, ma mère ; si l’un de nous deux doit pleurer, ce n’est pas toi. » Ce sont ses propres paroles. Tu comprends que je ne les ai jamais oubliées ; il s’en alla après m’avoir rassurée, et déclara à la dame qu’il ne pouvait affliger sa mère. Le bon fils ! Que fit cette femme ? À neuf heures du soir, elle prit un fiacre et se fit conduire à ma porte. On vint m’avertir que quelqu’un me demandait en bas ; je descendis, me faisant suivre d’un domestique, et n’y comprenant rien. Je montai dans cette voiture, voyant une femme seule. C’était elle. Alors elle employa toute l’éloquence dont elle était maîtresse, à me décider à lui confier mon fils, me répétant qu’elle l’aimerait comme une mère, qu’elle le soignerait mieux que moi, que sais-je ? La sirène m’arracha mon consentement. Je lui cédai, tout en larmes, et à contre-cœur, car il avait une mère prudente, bien qu’elle ait osé dire le contraire, dans Elle et Lui.

« Cette scène a son prix, et je suis fâchée qu’elle ne se trouve pas dans ton récit véridique. Vois si tu peux l’introduire en parlant des regrets qu’il laisse derrière lui dans sa famille… » On voit que Mme de Musset, tout en déplorant la publicité donnée à Lui et Elle, eût désiré ajouter à cette histoire des précisions nouvelles.

M. Clouard, qui publia naguère la lettre qu’on vient de lire[1], ajoute : « Certes, Paul de Musset eut raison de répondre ; nous blâmons seulement la manière… » On ne saurait mieux dire, et M. Clouard réclame, — il écrivait en 1896, — la publication de la correspondance intégrale des deux amants. Ce vœu fut exaucé en 1904. Hélas ! une correspondance semblable n’est jamais intégrale, et dans celle-ci n’avons-nous pas déploré la

  1. Revue de Paris ; A.Clouard, Alfred de Musset et George Sand. Notes et documents inédits (15 août 1896).