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— J’ordonnerai l’offensive aussitôt que l’opération sera exécutable et j’attaquerai à fond… Peut-être même n’attendrai-je pas que la concentration de tous mes corps soit terminée. Dès que je me sentirai en force, j’attaquerai… Ce sera probablement le 14 août.

Il m’explique ensuite son plan général de manœuvre : 1o un groupe d’armées opérant sur le front prussien, 2o un groupe d’armées opérant sur le front galicien, 3o une masse en Pologne destinée à foncer sur Berlin, dès que les armées du Sud auront réussi à « accrocher » et « fixer » l’ennemi.

Tandis que, le doigt sur la carte, il me dévoile ainsi ses projets, toute sa personne dégage une énergie farouche. Sa parole tranchante et scandée, ses yeux scintillants, ses gestes nerveux, sa bouche dure et contractée, sa stature de géant personnifient en lui l’audace impérieuse et entraînante qui fut la qualité maîtresse des grands stratèges russes, des Souvarow et des Skobélew. Il y a, chez Nicolas-Nicolaïéwitch, quelque chose de plus, je ne sais quoi d’irascible, de despotique, d’implacable, qui le rattache héréditairement aux voïévodes moscovites des XVe et XVIe siècles. Et n’a-t-il pas aussi en commun avec eux la dévotion ingénue, la crédulité superstitieuse, le goût de la vie ardente et forte ? Quelle que soit la valeur de ce rapprochement historique, ce que j’ai le droit d’affirmer, c’est que le Grand-Duc Nicolas a le cœur placé très haut et que le commandement suprême des armées russes ne pouvait être confié à des mains plus loyales ni plus vigoureuses.

Vers la fin de notre conversation, il me dit :

— Veuillez faire parvenir au général Joffre mes compliments les plus chauds et l’assurance de ma foi absolue dans la victoire. Dites-lui aussi que je ferai porter, à côté de mon fanion de généralissime, le fanion qu’il m’a offert, quand j’ai assisté aux manœuvres de France, il y a deux ans.

Là-dessus, me serrant les mains avec véhémence, il me conduit jusqu’à la porte :

— Et maintenant, s’écrie-t-il, à la grâce de Dieu !


Jeudi, 6 août 1914.

Mon collègue d’Autriche-Hongrie, Szapary, remet ce matin à Sazonow une déclaration de guerre. Cette déclaration invoque deux motifs : 1o  l’attitude prise par le Gouvernement russe dans