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illusion, à cet égard… Mais pour que le Kaiserthum ne se relève pas aussitôt de ses ruines, pour que les Hohenzollern ne puissent plus jamais prétendre à la monarchie universelle, de grands changements politiques s’imposeront. Sans compter la restitution de l’Alsace-Lorraine à la France, il faudra restaurer la Pologne, agrandir la Belgique, reconstituer le Hanovre, rendre le Slesvig au Danemark, affranchir la Bohême, partager entre la France, l’Angleterre et la Belgique, toutes les colonies allemandes, etc..

— C’est un programme gigantesque. Mais je crois, comme vous, que nous devrons pousser jusque-là notre effort, si nous voulons que notre œuvre soit durable.

Puis, nous calculons les forces respectives des belligérants, leurs réserves en hommes, leurs ressources financières, industrielles, agricoles, etc. nous examinons les chances favorables que nous réservent les dissentiments intérieurs de l’Autriche et de la Hongrie, ce qui m’amène à dire :

— Il y a aussi un facteur, que nous ne saurions négliger : l’opinion des masses populaires en Allemagne. Il est très important que nous soyons bien informés de ce qui s’y passe. Vous devriez organiser un service de renseignements dans les grands foyers de socialisme, qui sont le plus proches de votre territoire, Berlin, Dresde, Leipzig, Chemnitz, Breslau…

— C’est très difficile à organiser.

— Oui, mais c’est indispensable. Songez que, au lendemain d’une défaite militaire, ce seront sans doute les socialistes allemands qui obligeront la caste des hobereaux à faire la paix. Et, si nous pouvons y aider…

Sazonow sursaute. La voix brève, sèche, il me déclare :

— Ah ! cela non ! non !… La révolution ne sera jamais dans notre jeu !

— Soyez sûr qu’elle est dans le jeu de nos ennemis contre vous !… Et l’Allemagne n’attend pas une défaite possible de vos armées, elle n’a même pas attendu la guerre pour se créer des intelligences dans vos milieux ouvriers. Vous ne me contesterez pas que les grèves, qui ont éclaté à Pétersbourg pendant la visite du Président de la République, ont été provoquées par des agents allemands.

— Je ne le sais que trop. Mais, je vous le répète, la révolution ne sera jamais dans notre jeu, même contre l’Allemagne.