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Grâce à vous, la débauche, effroyable maîtresse
Qui vieillit promptement tous ceux qu’elle caresse,
Et ne les lâche plus quand elle les a pris,
Enveloppe mon cœur de ses mille replis.

André Lagarde s’écriera plus tard :

Vous pensiez bien avoir mis la gangrène dans mon honneur… Mais votre piqûre se guérit comme les autres… avec le fer rouge… Adieu, messieurs ! Conscience, devoirs, famille, faites litière de tout ce qu’on respecte !… Adieu, je ne suis pas des vôtres !

Clinias, déjà, défend la famille. Non seulement Hippolyte, à qui Clinias veut imposer son amour, jette un cri d’appel à sa mère absente, mais Clinias, en faisant des vœux pour son bonheur, lui dit, — non sans quelque anachronisme :

Soyez mère féconde au bras d’un autre époux ;

mais encore, lorsqu’il s’est décidé à l’épouser, il ajoute :

Ta mère m’aimera, n’est-ce pas, Hippolyte ?
Une famille à moi ! Quelle joie ! Et comment
Ai-je pu jusqu’ici vivre différemment ?

Il eût pu conclure, comme le mari de Gabrielle :

Il n’est point de bonheur hors des routes communes.

On le voit, dans un cadre romantique, La Ciguë annonce, malgré l’auteur présent, l’auteur futur. La Ciguë annonce, de plus, un dramaturge d’une surprenante habileté (à vingt-quatre ans ! ) Il y a dans ces deux actes une ingéniosité, un tour de main, une habileté dans la conduite des scènes et leur rebondissement qui expliquent la prescience de Ponsard écrivant à Bocage, au lendemain de la première représentation, au sujet de celui qu’il croyait son disciple, qui le fut, il est vrai, mais ne le fut pas longtemps : « Je crois qu’il est destiné à être aux premiers rangs, sinon au premier. Vous verrez que ce sera par lui que le théâtre se relèvera… Je soutiens que c’est l’héritier de Molière… Rappelez-vous ma prophétie… C’est un gaillard qui ira loin. »

Le chef de l’école du bon sens ne manquait pas de jugement, il faut le reconnaître.

Le succès de la Ciguë fut tel, à l’Odéon, que la Comédie-Française demanda une pièce au jeune auteur. Celui-ci, ému