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Roosevelt, alors Gouverneur de l’État de New-York, venu d’Albany pour dîner et passer la nuit, s’était retourné vers son hôte et lui avait dit, avec sa violence accoutumée : « Au diable les politiciens ! Ce sont des hommes comme vous qu’il faut au pays, Archer. Si jamais l’écurie d’Augias peut être nettoyée, il faut que vous y mettiez les mains. »

« Des hommes comme vous ! » Archer avait été soulevé d’enthousiasme. Toutefois, il n’était pas bien sûr que les hommes comme lui fussent vraiment ceux dont le pays avait besoin. En effet, après avoir siégé pendant un an à l’Assemblée départementale de New-York, il n’avait pas été réélu, et c’est avec soulagement qu’il s’était retranché dans les modestes, mais utiles travaux de la vie municipale. Il écrivait aussi des articles dans des revues qui essayaient de secouer l’apathie du pays. Tout cela était assez peu de chose ; il n’était pas fait pour la vie publique ; il serait toujours par nature un contemplatif et un dilettante. Du moins s’était-il passionné pour de belles causes, et l’amitié d’un grand homme avait été sa force et son orgueil.

Il avait été, somme toute, ce qu’on commençait à appeler à New-York « un bon citoyen. » Depuis bien des années, tout nouveau mouvement, philanthropique, municipal ou artistique, avait compté avec son opinion, avait demandé son appui. Qu’il fût question de fonder une école d’infirmières, de réorganiser le Musée, de fonder un cercle de bibliophiles, d’inaugurer une nouvelle bibliothèque, ou de former une société de musique de chambre, on disait toujours : « Il faut demander l’avis d’Archer. » Ses jours étaient remplis, et remplis avec honneur. N’était-ce pas tout ce qu’un homme de bien pouvait demander ?

Il savait pourtant ce qui lui avait manqué : la fleur de la vie. Mais il y pensait maintenant comme à une chose hors d’atteinte. Lorsqu’il se souvenait de Mme Olenska, c’était d’une façon irréelle, avec sérénité, comme on penserait à une bien-aimée imaginaire découverte dans un livre ou un tableau. Elle était devenue l’image de tout ce dont il avait été privé. Mais si légère et ténue qu’eût été la vision, elle l’avait empêché de penser à d’autres femmes. Il avait été ce qu’on appelle un mari fidèle, et quand May était morte, emportée par une pneumonie infectieuse prise au chevet de son plus jeune fils, il l’avait sincèrement pleurée. Les longues années qu’ils avaient passées ensemble lui avaient enseigné que le mariage le plus ennuyeux