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Il se leva et traversa le jardin des Tuileries. Mme Olenska lui avait dit une fois qu’elle allait souvent au Louvre, et il eut la fantaisie de passer les heures de l’attente dans un endroit où peut-être elle avait été récemment. Pendant plus d’une heure, il erra de salle en salle dans l’éblouissement d’une journée de printemps. L’un après l’autre, des tableaux se révélaient à lui dans leur splendeur à moitié oubliée, et il se laissait peu à peu envahir par les émotions qu’inspire la beauté. La beauté, il en avait eu faim toute sa vie…

Soudain, devant un triomphal Titien, il se prit à dire : « Mais je n’ai que cinquante-sept ans ! » Puis, il se détourna. Pour les rêves du chaud été, c’était trop tard ; mais non pour un tranquille automne auprès d’Ellen, dans la paix bénie de sa présence.

Il revint à l’hôtel où il devait retrouver Dallas. Tous deux traversèrent la place de la Concorde et la Seine, s’engagèrent sur l’Esplanade des Invalides. Le dôme de Mansart rayonnant, sur la masse grise du monument, absorbait et renvoyait les ors du soleil couchant. Dans l’éther lumineux il semblait le symbole visible de la gloire d’une race.

Archer savait que Mme Olenska demeurait près d’une des avenues qui aboutissent aux Invalides : pourquoi s’était-il figuré un quartier paisible et modeste, oubliant la brillante coupole qui règne sur lui.

Par un singulier enchaînement d’idées, cette lumière dorée devint pour lui la lumière même où Ellen vivait. Pendant près de trente ans, la vie de Mme Olenska, — cette vie dont il était si étrangement ignorant, — s’était déroulée dans cette riche atmosphère. Il pensa à tous les beaux spectacles auxquels elle avait dû assister, aux tableaux qu’elle avait dû regarder, aux sobres et magnifiques demeures où elle avait dû entrer. Il pensa aux gens avec qui elle avait dû causer, aux idées, aux curiosités, aux images et aux comparaisons que remue sans trêve une race d’une intense sociabilité, dans le charme d’une politesse traditionnelle.

Tout à coup, Archer se rappela le jeune Français qui lui avait dit une fois : « Une conversation intéressante, il n’y a rien de tel, n’est-ce pas ? » Il n’avait jamais revu M. Rivière, ni entendu parler de lui depuis trente ans. Tout ce qui avait rapport à Mme Olenska était pour lui si lointain ! Il était resté