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ministres plus simplement en habit, les prélats, le primat de Roumanie, belle tête pensive dans une longue barbe fine, en soutane violette, d’autres en noir, coiffés tous de la grande potcap cylindrique dont le voile noir retombe en arrière. En face des trônes, les autorités universitaires, les recteurs à chaînes d’or, les délégués étrangers au premier rang desquels on m’avait fait l’honneur immérité de me placer. Quand le Roi et la Reine s’avancèrent enfin au milieu des acclamations assourdissantes, des « Traïasça ! » (vivat ! ) traditionnels, précédés de beaux officiers, suivis du prince royal, en tenue de colonel d’alpins à petit chapeau gris, et de la princesse Mariora, la scène ne manqua pas de grandeur. Le Roi, en [uniforme de général, avec la grande écharpe bleu pâle de la couronne de Roumanie, le képi à long plumet blanc, figure creusée, simple et franche, que les cheveux drus plantés en brosse soulignent énergiquement, s’assit à côté de la Reine et la cérémonie commença ou, pour mieux dire, le défilé, le long défilé des discours. J’étais tellement tout aux sensations visuelles que j’avoue avoir un peu négligé alors les auditives.

Banquets un peu moins solennels, précédés invariablement de la tzuica, l’apéritif national à l’alcool de prune, sans lequel il n’est point de repas roumains, représentation au théâtre, « développements » du portrait du Roi à l’Université, et pour finir, le soir, grande fête d’étudiants présidée par le Roi et où l’on « frotta la salamandre » en buvant force bière et en chantant force couplets latins : tout contribua à donner à cette fête un caractère inoubliable pour ceux qui y ont assisté. C’est toujours une chose un peu solennelle et grave que la prise de possession d’une province rédimée ; mais rien n’égale en gravité et en importance la reprise de l’âme même, du cerveau de cette province, et c’est cela même que constituait l’inauguration de l’Université de cette étrange cité de Csernowitz où les derniers flots du germanisme viennent aujourd’hui se briser contre la haute falaise latine que la Roumanie dresse dans le trouble Orient.

On peut avoir, je crois, confiance dans nos amis de là-bas pour garder fidèlement au génie latin, à la grâce et à la clarté méditerranéenne ce nouveau bastion de l’intelligence qui est confié à leur garde. Il suffit pour n’en pas douter d’avoir causé quelques instants avec le roi Ferdinand, ce Hohenzollern qui