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s’est donné sans une hésitation, sans réserve, à travers les déchirements les plus nobles, à son devoir, à son peuple, à ses alliés. Il suffit pour en être sûr d’avoir subi le charme intelligent que répand autour d’elle la reine Marie. Souvent les personnages royaux sont inégaux à l’image majestueuse que s’en forme l’imagination populaire, pour ne pas saluer avec joie, lorsqu’elle se présente, une réalité proportionnée à la légende. Lorsqu’elle se dressait dans la cérémonie de Cernauti, debout devant son trône, dans sa robe crème, avec, sur ses cheveux blonds, — son vrai diadème — une toque rose qu’achevait, comme une aile, un long voile vaporeux, lorsque, souriant, elle montrait les perles de ses dents plus belles encore que celles de son cou, la reine Marie évoquait vraiment tout ce qu’il peut y avoir de noblesse sans apprêt, de majestueuse beauté dans ce mot : une reine. Sur ce point un scrupule démocratique m’empêche d’en dire davantage.

Mais lorsque, — et j’ai eu cet honneur, — on a par surcroit causé longuement avec elle, qu’on a entendu ce français charmant que relève une pointe légère d’accent anglais, qu’on a goûté ces réflexions si vives et si profondes sur la nature ou la vie, qu’on a senti ce dédain suprême de l’étiquette (qui caractérise les cours) et des étiquettes (qui caractérisent la politique), cet amour intelligent de la science et des lettres, surtout de nos lettres que la Reine cultive avec dilection, — les lecteurs de la Revue en savent quelque chose, — alors on est assez tranquille sur l’avenir de la pensée française en Roumanie… Mais enfin peut-être faudrait-il tout de même que nos hommes d’Etat songeassent à s’efforcer un peu plus pour maintenir là-bas la position de la France, et ne se bornassent pas à compter pour cela uniquement sur le secours de je ne sais quelle fée… cette fée fût-elle une reine ! Et puis, encore un coup, si la pensée française est la condition nécessaire de la force française, elle n’en est pas la condition suffisante. Primum philosophari, sed deinde vivere.


CHARLES NORDMANN.