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dangereuses, — et il vaudrait mieux encore le leur imposer dès le début, — le contrôle du bon sens, qui n’est que la modestie de l’esprit devant l’humble vérité. Après cela, très souvent, il ne reste pas grand’chose des doctrines ; et les voilà réduites à un petit nombre de remarques opportunes. Ce qui en est tombé n’était que floraison médiocre ou mauvaise et, quelquefois, n’était que la maladie de la plante : ce qui reste, et qui sans doute n’a point une apparence magnifique, est la plante même.

Il faut rabaisser aux idées leur caquet. Le féminisme a le caquet le plus insupportable. Et Mme Colette Yver lui consacre un volume charmant, plein d’ironie et de bon sens. Appliqué aux idées qui n’ont pas beaucoup de retenue, le bon sens tourne à l’ironie, sans le vouloir, et sans perdre ses jolies qualités d’honnête et sensible indulgence. Je tâcherai d’analyser ce volume ou de me promener avec mon lecteur Dans le jardin du féminisme.

Mme Colette Yver se souvient d’avoir rencontré une très belle jeune fille et qui avait une physionomie intéressante. De légers bandeaux bruns, sur son front, s’écartaient comme s’ouvre un double rideau sur la scène d’un théâtre : « Et une pièce, en effet, se jouait dans ce front chargé de pensées, dans ces yeux châtains qui scrutaient les choses avec un air de positivisme étrange. » cette jeune fille de vingt-sept ans, et que nous appellerons Sidonie, souriait avec un peu d’effort ou avec un peu de condescendance : elle avait pâti ou bien elle était philosophe. Mais non point arrogante ou précieuse : timide avec beaucoup de grâce ; et interne d’un fameux professeur dans un hôpital de Paris. Curieuse de connaître et d’analyser l’âme de la « femme moderne, » Mme Colette Yver s’approche de Sidonie et l’entend qui, d’une voix douce, mais résolue, déclare : « Il faut arriver à tuer sa sensibilité. La sensibilité n’est qu’un piège auquel notre volonté se laisse prendre. Lorsqu’on est parvenu à se dégager assez de sa sensibilité pour l’observer en quelque sorte extérieurement, on doit être assez fort pour la détruire ou tout au moins pour échapper à ses suggestions. » Ah ! l’insupportable personne ; et tant pis pour ses yeux châtains, pour le sourire de ses lèvres jolies et tristes : elle nous ennuie !

Nous allons nous éloigner d’elle… Nous avons tort ; et Mme Colette Yver, qui a une vraie curiosité, c’est-à-dire mêlée de charité intelligente, devine que Sidonie, pour détester la sensibilité, ne manque pas de cœur. Sidonie est tendre : ses malades l’aiment, sachant ce qu’elle a de bonté, de pitié, de subtil dévouement. Ce n’est pas la