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Et vite, manger un sandwich et m’habiller pour être à sept heures au Théâtre de la Cour, où la Wolter joue Marie Stuart de Schiller : la Wolter est une des plus grandes tragédiennes de l’Allemagne ; elle a soixante ans, le double de l’âge de Marie Stuart et les porte, mais, à ne pas la regarder trop, quel organe, quel accent et quel jeu ! Je pensais qu’à cette tragédie en allemand, je m’éclipserais, après deux actes de fatigue et d’ennui, et je suis resté jusqu’au bout ayant tout compris et suivi, grâce à ce jeu merveilleux. La salle avait l’aspect d’un salon, de l’ancien parterre des Italiens : une allée centrale et de larges espaces, les femmes à l’orchestre en coiffure du soir, des uniformes élégants aux fauteuils et dans les loges, la salle maintenue dans l’obscurité pendant la représentation, ce qui met la scène en valeur et empêche les distractions.

A dix heures, c’est fini : les uns vont se coucher pour ne pas affronter les rigueurs des terribles concierges de Vienne qui tiennent porte close aux retardataires ; les indépendants, comme moi, vont souper au Gardenbaugesellchaft. C’est, comme disposition, un café-concert des Champs-Elysées, Horloge ou Ambassadeurs, mais on n’y « rigole » pas, fichtre non ! on y vient pour la musique ; de dix heures à minuit, tantôt l’orchestre de Drescher, tantôt, comme hier soir, une très bonne musique militaire alternant le classique et la fantaisie et, deux heures durant, la folle jeunesse attablée écoule religieusement, absorbant viande sur viande, sans le moindre tracassin de mouvement, applaudissant à tout rompre un motif de Bach ou de Weber.


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Ce matin, Pentecôte, tous les monuments publics sont fermés, sauf les églises ; pas une galerie à visiter, et ç’a été pourtant une exquise matinée, de huit heures à une heure, à travers le vieux Vienne, de Neumarkt à Hohemarkt, de Judengasse à Amhof. Jusqu’à midi, les boutiques étaient ouvertes, tout le peuple dehors endimanché, sous un soleil de fête, et, autour des églises, un remous. J’ai suivi la foule des fidèles à Saint-Etienne où officiait le primat, à Maria-Stiegen, à Lhotlenkirche où est le beau tombeau des Stahrenberg, à la Votive, à la chapelle du Burg où les gardes du corps aux plumes retombant en cloche sont, devant l’autel, immobiles ; enfin, aux Augustins, l’église de la Cour, où j’ai écouté la célèbre musique.