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comment ? — et qui dans ce poste infime joue au potentat ; il a fondé un théâtre-casino où, chaque jour à cinq heures, joue une musique pour laquelle il requiert administrativement les enfants de l’école. Il en fait les honneurs avec sa mère, vieille princesse en enfance, qu’il y traine ; et comme il invite « n’importe qui, » les gens « comme il faut » de Sulina ont mis son casino à l’index, ce dont il se venge en persécutant les cafés et en interdisant la fondation d’un club. Il y a le Français, photographe-cafetier, hâbleur et mauvais coucheur. Il y a le vieux chef des pilotes Barbati, qui était déjà en fonctions il y a quarante ans ; sous la domination turque et qui est maintenant un monsieur. Il y a la famille Bergeot qui très dignement incarne la France, le père depuis vingt-cinq ans au service de la Commission, le fils, notre compagnon de chasse, et Mlles Bergeot. Il y a M. K…, l’ingénieur de la Commission, un Danois, solide et froid, et Mme K… une Anglaise, charmante, fine et sympathique, qui a transporté dans ce petit cottage de Sulina où elle est depuis vingt-trois ans ( ! ) tout le confort, tout le homeIy britannique. Nous avons été l’y voir et, vraiment, cette existence rend songeur. Depuis vingt-trois ans, dans ce désert perdu, cette femme intelligente et cultivée, recevant les périodiques, au courant des choses, raffinée de goûts, ne voyant pas son fils de vingt ans, qui est à Londres, à peine son mari, qui est occupé tout le jour, s’étant donné, il y a deux ans, ses premières vacances pour passer l’hiver à Antibes, loin de ce climat si rude, parce que, le traitement de son mari ayant augmenté, et l’aisance étant venue, on a pu s’offrir cette dépense. Quelle vie ! et heureuse pourtant, du devoir accompli, de son mari réconforté, mais d’un bonheur triste qui sent que les belles années ont été sévères, plus sévères que ne l’exige la commune destinée et qu’il doit y avoir des au-delà et des joies qu’elle n’a pas soupçonnées.

Et tout ce high-life de Sulina vit, s’agite, se dévore et potine et fait à cinq heures son persil au jardin public.

Mais il y a aussi sir Charles Hartley. Celui-là est un grand quelqu’un que je vous présente. C’est l’ingénieur consultant de la Commission, qui ne passe ici que trois semaines par an et avec qui nous avons achevé la journée : c’est un des hommes les plus compétents du monde en navigation fluviale, et sur bien des points du globe les plus beaux travaux glorifient son nom.

C’est lui qui a fait ici tout ce que nous voyons ; il y arriva