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Le dimanche 28 mai, à midi et demi, les chevaux prêts, Pierre de Margerie nous menait, avec le charmant premier secrétaire, La Boulinière, tous quatre à cheval, à travers le vieux Stamboul, ; un ressouvenir des rues montantes d’Alger ; le même grouillement, les mêmes échoppes ouvertes, les mêmes mille petits métiers orientaux, les mêmes cris, les mêmes mélopées plaintives au fond des cafés, les mêmes fontaines aux angles des ruelles ; mais, là-bas, il n’y a que deux races ; ici, il y en a dix, impénétrées, et, d’une rue vieux turc où domine le turban, ou passe en pays arménien, où l’on croise un enterrement pompeux, le mort découvert ; puis on traverse un coin juif, pour ne lire ensuite que des enseignes en grec.

Voici le Château des Sept-Tours et toute la ligne intacte des vieux remparts, encore éventrés à la brèche où entrèrent les Turcs. — On rentre en ville, à la mosquée Karyé, où viennent de se découvrir, sous le badigeonnage musulman, de si étonnantes mosaïques, des plus belles que l’on connaisse, et ; dans une chapelle latérale, des fresques byzantines plus intéressantes encore. Elles donnent bien l’évidente démonstration que l’art byzantin n’était pas, à la chute de l’Empire, dans la décadence que tant de gens s’imaginent, et fut vraiment le maître direct de la Renaissance italienne, puisque ses fresques, ce saint Georges souple, à la tête trop petite, venue de l’antique, ce n’est déjà plus du Cimabué, c’est du Giotto, et rien du hiératisme archaïque que nous attribuons en bloc aux byzantins.

Puis une halte dans un café délicieux de la porte d’Andrinople, ensoleillé, chatoyant de peuple coloré, entre les vieux remparts, hauts, crénelés, la porte de ville où s’éploie encore l’aigle byzantin, la forêt de cyprès du cimetière turc qui ceinture la ville et la campagne de Roumélie, nue, rousse, aux lignes lourdes ; puis c’est Eyoub, Eyoub de Loti ! un éboulis de tombes, une carrière de sépulcres s’étageant les uns sur les autres, dix Père-Lachaise juxtaposés, mais sans mausolées prétentieux, sans statues, rien que des stèles vieux vert avec inscription or éteint ou bien noir et argent, debout, penchées, tombées, se serrant en masse autour de l’exquise mosquée, ce bijou dans les hauts cyprès, les hauts cyprès à profusion servant d’écrin sombre à tout ce blanc, ce vert, cet or.

Et puis un temps de galop aux Eaux-Douces d’Europe, au fond de la Corne d’Or que termine, plongeant dans l’eau, le