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Ainsi, périodiquement, une grande cérémonie religieuse politique ou militaire concentrait vers la colline sacrée du Kremlin tous les regards du peuple russe et du monde slave.

Dans cette vie active et brillante, Élisabeth Féodorowna jouait son rôle. Elle présidait avec grâce les fastueuses réceptions du Palais Alexandre et d’Illinskoïe ; elle se dépensait avec zèle dans beaucoup d’œuvres pieuses ou charitables, scolaires ou artistiques. Le cadre pittoresque et l’atmosphère morale de Moscou agissaient profondément sur ses facultés sensibles. On lui avait expliqué, un jour, que la mission providentielle des Tsars est de réaliser le Royaume de Dieu sur la terre russe ; la pensée qu’elle coopérait, si peu que ce fut, à une pareille tâche enflammait son imagination.

Satisfaite de son destin, souriante et pure, secrète et douce, harmonieuse dans toutes ses formes, exquise dans ses toilettes, elle répandait autour d’elle un parfum d’idéalisme, de mystère et de volupté…

Cependant, la politique ultra-réactionnaire, dont le Grand-Duc Serge se faisait gloire d’être l’un des principaux artisans, provoquait dans les milieux intellectuels et dans les masses ouvrières de toute la Russie une résistance qui se révélait chaque jour plus violente. Un groupe de terroristes intrépides, Guerchouny, Bourtzew, Savinkow, Azew, fondait une « Organisation de combat » qui allait bientôt égaler par ses prouesses l’épopée nihiliste de 1877-1881. Les complots et les attentats se succédaient à de brefs intervalles, avec une effrayante régularité. Un ministre de l’Instruction publique, deux ministres de l’Intérieur, des maîtres de police, des gouverneurs de province, des procureurs de justice, étaient frappés tour à tour. Vers la fin de 1904, les désastres d’Extrême-Orient aggravèrent soudain la situation, particulièrement à Moscou.

Le Grand-Duc Serge prescrivit aussitôt des mesures draconiennes. Et, de son air féroce, avec un rictus amer, il annonçait partout qu’il se montrerait impitoyable.

Or, le 17 février 1905, à trois heures de l’après-midi, comme il traversait le Kremlin en voiture et qu’il arrivait sur la Place du Sénat, le terroriste Kalaïew lui lança une bombe qui, l’atteignant à la poitrine, le mit en pièces.

La Grande-Duchesse Élisabeth se trouvait précisément au