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elle le doit à l’organisation du travail relatif à ces études. L’École des Chartes peut se considérer comme la continuatrice des Bénédictins. Dans tout le pays, elle est la seule école spéciale pour cet objet : elle a reçu ses élèves de toute la France et a répandu dans toute la France ses travaux et ses méthodes. Cette unité dans l’étude de la paléographie a été pour la science un avantage précieux. »

Et il ne suffit pas de lire les anciens manuscrits, il faut les comprendre. Dans quel jargon barbare sont-ils rédigés ? Faites attention, ici encore : car ce sont ces langues, filles de celle de Virgile et de Tite-Live, qui nous ont transmis le suc de la civilisation antique ; et ce sont ces mêmes langues qui, par l’usage, sont peu à peu devenues la langue française ; en un mot, il s’agit des langues romanes, celles qui furent parlées par quinze siècles de notre histoire. Elles s’écrivent et se parlent encore. Si la langue est une âme, elles sont l’âme du passé. Or, l’enseignement des langues romanes, c’est précisément la gloire des leçons de l’École.

Bas latin, latin médiéval, provençal, dialectes picard, champenois, lorrain, ces langues ont eu leurs écrivains, leurs penseurs, leurs poètes, en un mot leur littérature. Nous ne connaîtrions pas les lentes évolutions de la pensée française et des sentiments français, si elles ne nous en avaient transmis l’expression ; nous ignorerions ce mot si doux de « doulce France, » nous ignorerions le chant si frais des « aubades » et la grâce des troubadours et l’abondance inventive des trouvères, nous n’aurions pas vu rayonner jusqu’à nous la splendeur de l’épopée française, la gloire des « chansons de geste, » la virilité naissante de l’histoire nationale avec les Villehardouin, les Joinville et les Froissart, si la connaissance de ces langues oubliées n’avait été conservée et approfondie quelque part, si les manuscrits n’avaient été retrouvés, lus, colligés, si des éditions savantes ne nous avaient été fournies, si la science et la critique des Gaston Paris et des Paul Meyer n’avaient amené sous notre main ces richesses négligées. Ils ont sinon ouvert, du moins infiniment élargi le cycle. Par eux notre vie nationale s’est replantée, si j’ose dire, sur sa propre racine.

Mais le sol de la France nous offre d’autres spectacles. Ces passionnés de notre histoire absconse et cachée, ces fouilleurs de cryptes, ces amis de nos antiquités, ignoreraient-ils les