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les plus rudes de l’histoire médiévale, celle des Croisades. Et, je n’étais pas de l’École !… Jules Quicherat le sut ; il m’appela. Il me fit comprendre que, sans ces études préliminaires, je ne saurais jamais rien de précis ni d’exact sur notre lointain passé. Il me dit cela de telle façon que je n’avais qu’à obéir. J’obéis. Et, à sa mémoire je garde une fidèle gratitude, — parce que cette résolution, prise un peu en dehors de ma volonté, a incliné le reste de ma carrière. Le souvenir que j’ai gardé surtout de cette explication un peu rude, c’est celui de l’homme lui-même.

Jeune provincial, frais émoulu de mon lycée et assez embarrassé de mes premiers diplômes, j’ai vu qu’un homme judicieux, sage et bon me regardait amicalement et qu’il prenait la peine de guider mes premiers pas. Cet homme qui savait le passé de la France s’intéressait à moi qui avais la passion de le connaître ! Jules Quicherat était, sans que je l’eusse compris très bien en ce temps-là, une des plus grandes valeurs intellectuelles de sa génération. Il savait, il devinait, il voyait. L’histoire était sa chose. Il la prenait non seulement comme un homme d’hier, mais comme un homme d’aujourd’hui et de demain. Grave, austère, sévère pour lui-même, il s’enfermait dans sa technique, mais elle ne le dominait pas. Le penseur restait intact dans l’érudit.

On ne savait du fond de son être, que ce qu’il en laissait percer par une boutade, un propos sarcastique, une repartie brève, où l’homme du secret et de la contention parfois s’ouvrait. Mais la figure, un instant éclaircie, se refermait vite. Ayant vécu sous l’Empire, il se gardait. Philosophe, voltairien, républicain, disons le mot stoïcien, J. Quicherat se rattachait directement à la lignée des « grands ancêtres. » Je pense bien que, comme tant d’autres, à partir de 1848, il n’avait plus fait confiance à la vie. Ayant consacré le reste de son existence à l’étude scrupuleuse de notre passé, il eût répété sans doute le propos de Mme de Staël : que « ce qui est ancien en France ce n’est pas le despotisme, mais la liberté. » Ce grand connaisseur des cathédrales était un « laïque » déclaré. Mais ce voltairien était aussi un dévot de Jeanne d’Arc ; et, au fond, c’est lui qui, par la publication magistrale des Procès, donna à l’auteur de la Pucelle la plus jolie volée de bois vert qu’un disciple ait jamais administrée à son maître.

De cet érudit aux doctrines antiques et aux jeunes initiatives