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ravitaillement problématique, lui paraissaient commander l’évacuation. C’était donc la retraite.

Malheureusement, le groupement ramené par le colonel Normand, et comprenant quelques milliers d’Arméniens qui n’avaient d’autre ressource que ce nouvel exode pour échapper au massacre, dut surmonter d’énormes difficultés de route. Le 12 février, la colonne fut assaillie par une tempête de neige qui coûta la vie de la moitié des familles arméniennes, et éprouva cruellement nos tirailleurs indigènes, peu préparés à de pareilles rigueurs de climat. Enfin, avec de douloureux sacrifices, par un froid de vingt degrés, et parmi des scènes qui rappelaient les sombres tableaux de la retraite de Russie, la garnison de Marache déboucha des montagnes et rejoignit Adana. Elle était sauvée.

Il fallait narrer ces événements tragiques, mentionner l’indigence de troupes dont souffrait l’armée du Levant, pour donner une idée des difficultés au milieu desquelles son commandement dut se débattre. Il faut ajouter à ces angoisses celle de voir le gouvernement de Feyçal, fort bien au courant de nos difficultés, nous refuser, à cette heure grave, la voie de Beyrouth-Rayak-Alep, seule communication par terre de nos troupes engagées sur le nouveau front Nord.

Car, il n’y avait pas à s’y méprendre, c’était un front véritable qu’il allait falloir constituer contre le développement de l’insurrection nationaliste. L’incontestable succès remporté par elle à Marache lui a donné tous les espoirs. Cette réussite est exploitée largement aux dépens de notre prestige. Le Kémalisme s’organise pour nous combattre.

Son commandement est bien pourvu, par les cadres de l’armée régulière turque, par les conseils d’officiers allemands qui continuent la tradition de la Grande Guerre. Son armement est assuré, tant par l’imperfection d’un armistice incomplet qui a laissé aux Ottomans leurs dépôts de matériel de guerre, au lieu d’en exiger le versement, que par la négligence de nos Alliés qui ont laissé sur place des dépôts d’armes et de munitions, en évacuant la Cilicie et, plus tard, l’Anatolie. Ses effectifs seront abondamment entretenus, et par les soldats turcs demeurés sous les armes, et par l’appel constant fait, sous la menace de la terreur, à tous les contingents ruraux transformés en combattants de guérillas, permanents et insaisis-