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continuel de la doctrine devait épouvanter, comme une folie criminelle, au milieu de la dissolution universelle des lois, des mœurs, des États, les esprits éclairés et profonds qui sentaient combien il était nécessaire de donner aux hommes, désespérés par l’universelle mobilité, quelque chose de solide, de fixe, d’inébranlable à quoi s’accrocher. C’est pour cette raison qu’il y eut tant de grands esprits qui s’opposèrent à l’hérésie ancienne, jusqu’à défier l’exil et la mort. Si le Christ était fils de Dieu, consubstantiel au père, vrai Dieu né du vrai Dieu sans en rompre l’unité, le mystère de l’incarnation était unique et définitif pour l’éternité ; un autre Messie ne viendrait plus ; le livre de la Révélation était fermé pour toujours et l’humanité avait désormais trouvé le fondement indestructible de l’éternelle vérité sur lequel construire l’ordre moral et social, dans les deux Testaments, à la seule condition de les interpréter exactement.

Les grandes luttes théologiques au milieu desquelles s’est formé peu à peu le dogme ainsi compris, il n’est pas difficile d’en expliquer la terrible ardeur. Que voulaient les grands fondateurs et défenseurs de l’orthodoxie ? Unifier et fixer les croyances sur la base de la révélation et des livres saints avec les forces de la pensée, surtout avec cet instrument particulier de l’intelligence qui est la dialectique. Mais la pensée est un des éléments les plus mobiles de l’univers ; et la dialectique un instrument puissant, mais très peu sûr parce qu’elle sait très bien servir toutes les passions, même celles qui sèment le trouble et le désordre dans les esprits et dans le monde. Déjà les philosophes grecs s’en étaient servis, plus pour détruire que pour soutenir les croyances et les traditions du monde ancien et pour leur substituer l’éternelle mobilité des passions et des intérêts, masquées par d’ingénieux sophismes. En outre si la pensée de l’homme répugne toujours à se soumettre à une forte et sérieuse discipline, elle y répugne encore plus dans les temps d’anarchie politique et sociale. Vouloir reconstituer l’ordre dans l’anarchie d’un immense empire croulant, en commençant par la pensée, c’était commencer l’œuvre par le côté la plus difficile, suivre la ligne du plus grand effort, affronter, avec des raisonnements, toutes les dangereuses passions que l’anarchie déchaîne et qui cherchent à la prolonger, parce qu’elles en vivent !