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égale à la puissance des images ; l’élan de la fantaisie et du sentiment à la profondeur de la pensée. Et il était devenu un de ces professeurs officiels de littérature, que depuis Dioclétien l’Empire payait et honorait pour qu’ils conservassent vivante la tradition de la littérature ancienne. Pour une fois, l’enseignement officiel avait mis la main sur un vrai génie… Mais l’homme de génie nous a laissé la description inoubliable de l’existence misérable qu’il mena en faisant son métier de professeur à Carthage, à Rome, à Milan ; l’inquiet mécontentement qui le rongeait en ce temps ; la furieuse agitation de son grand talent dans le vide de cette culture désormais épuisée et schématisée dans le cadre conventionnel d’un enseignement officiel. Quand un jour, dans un village près de Milan, la lumière se fit dans cette grande âme, dégoûtée par le vil métier auquel une civilisation mourante voulait le condamner, le professeur de littérature abandonna la chaire, jeta les vieux livres morts, descendit comme un hardi scaphandrier dans la mer, dans les abîmes théologiques de la grâce, de la prédestination, du libre arbitre, pour jeter là-bas les bases du grand pont, sur lequel l’Europe devait faire le long et difficile passage de la civilisation ancienne à la moderne.

L’œuvre de Constantin en somme ne fut pas un échec, mais un demi-insuccès, qui contribua à éviter pour le moment la catastrophe, en prolongeant l’agonie. Après lui, l’Empire vit encore, mais dans des secousses continuelles et s’affaiblissant toujours davantage. La pauvreté augmente ; l’Etat se désorganise en même temps qu’il se fait plus violent, oppressif et rapace ; le fiscalisme impérial sévit ; les atroces tragédies dynastiques se répètent ; l’armée se décompose ; la défense des frontières vacille ; les campagnes se dépeuplent au bénéfice des villes ; les petites villes tombent en ruine à l’avantage des grandes ; les barbares s’infiltrent partout ; la culture, sous toutes ses formes, des beaux-arts à la philosophie, se détériore ; les luttes religieuses s’enveniment ; l’unité de l’Empire se brise ; l’Orient et l’Occident se séparent. L’Orient se défend mieux contre la décadence que l’Occident, parce que la monarchie absolue, retournant dans son pays d’origine, s’y établit un peu plus solidement et peut enrayer la dissolution générale avec plus de force et plus longuement qu’en Occident. Aussi la force de l’Empire peu à peu se retire vers l’Asie, jusqu’au jour où l’Occident tombe sous les