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jugera-t-on que ce « prologue dans le ciel, » ainsi que les chapitres suivants sur l’histoire du globe terrestre, sur la succession des âges géologiques, sur la flore et la faune fossiles et les premiers balbutiements prodigieux de la vie, formaient une introduction assez inutile à une histoire universelle. M. Wells n’a pu se refuser au plaisir d’écrire sur l’œuvre des six jours un roman de M. Wells.

Mais je me figure aussi que M. Wells, en donnant ce recul énorme à son histoire, n’a pas cédé seulement au penchant de son imagination Il a voulu nous dire que l’homme est peu de chose sur la terre, qu’il y est la dernière venue, la plus récente des créatures : son règne n’y a peut-être que deux cent mille ans d’existence, moment infime d’une durée qui se mesure dans la nature par centaines de millions d’années. Et puis, en nous montrant les monstres de l’antique préhistoire, les larves, les géants de la vase et des marécages, il nous fait concevoir que les empires passent, que les plus grands destins périssent, qu’il n’y a pas de forme immortelle sous le soleil. Tout s’évanouit, tout se transforme. Rien qu’à feuilleter le livre de M. Wells, depuis les terrifiantes images des grands sauriens, premiers maîtres de la planète, jusqu’aux cartes qui retracent les remaniements des empires, les contours changeants des États, on prend la mesure de ce que nous croyons éternel. Que sont les dix ou quinze mille ans d’histoire consciente dont nous pouvons nous souvenir, auprès du désert infini de siècles sans mémoire qui les ont précédés ? Et dans ce petit espace qu’embrasse notre regard, quelle forme a duré plus de deux ou trois générations ? Quelle vérité peut se flatter d’être encore vraie demain ?

Il va sans dire que je ne vais pas résumer en quelques mots ces 650 pages d’un texte à deux colonnes, qui formeraient 2 400 pages de la Revue et qui embrasse l’histoire de l’humanité entière depuis le crâne de Piltdown jusqu’à M. Wilson et à M. Clemenceau. On est bien obligé de s’en tenir à l’essentiel. Par bonheur, l’objet que s’est proposé M. Wells en écrivant The Outline of History, est peut-être moins difficile à trouver qu’on ne croit. On se figure que les histoires commencent par le commencement, et en réalité, elles s’écrivent par la fin. On demande au passé d’éclairer le présent, alors que c’est le présent qui éclaire le passé. Bossuet, dans son Discours, est toujours le grand lutteur contre les protestants, et Voltaire, dans son Essai, n’a en vue que de dénoncer les crimes de la « superstition. » M. Wells à son tour n’en use pas autrement. Son livre, fils de la guerre, est un livre de combat. On s’attend à trouver une histoire : c’est une énorme machine de guerre contre la guerre, un pamphlet démesuré contre