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monde : « Alors, je dis à Rossini… » ou : « C’est l’année où Vigny fut si malade… » encore : « Hugo entra chez moi en coup de vent, et s’écria : — Mon petit, courez chez Sainte-Beuve, ramenez-le, faites cela pour moi ; — et tu sais bien qu’à cette heure-là, Sainte-Beuve n’était jamais au logis… »

Aimant et recherchant les polémiques, malicieux avec délices, caustique pour ses contemporains, sévère pour les autres, étincelant toujours, jetant à la volée les paradoxes, les mots, les anecdotes avec un brio, une verve qui, à soixante-quinze ans, semblaient aussi éclatants que jamais, Henri Blaze était demeuré de son temps : un charmant parfum de romantisme se dégageait de sa personne.

Il habitait dans ses dernières années, 20, rue Oudinot, un rez-de-chaussée, dont les fenêtres s’ouvraient sur le boulevard des Invalides ; son appartement spacieux, et un peu sombre, avait naguère abrité Mme d’Agoult ; Listz y vint, et jadis, Pauline de Beaumont planta dans le jardinet un figuier, que les filles d’Henri Blaze de Bury connurent[1]. La façade de la maison, supportée par d’épaisses colonnes, a aujourd’hui changé d’aspect : hélas ! le jardinet, avec le figuier de Pauline, a disparu.

Blaze, qui était maigre et sec comme un sarment, glissa un jour sur son parquet, et se cassa la jambe, — il avait alors soixante-huit ans[2] ; — lorsque sa sœur, Christine Buloz, le venait voir, il arrivait au salon, tapant le sol de ses béquilles, s’installait dans un fauteuil, et se perdait dans ses souvenirs ; de temps en temps, une indignation le soulevait, il frappait de sa main sèche aux ongles démesurés, le bras de son siège, ou prenait sa béquille, pour en heurter le marbre du foyer, et appuyer son dire.

Je ne jurerais pas que toutes les anecdotes qu’il racontait fussent rigoureusement exactes, et que l’imagination du vieil homme n’y brodât quelques fantaisies brillantes de temps en temps : c’était un poète. J’ai cité d’autre part quelques passages de ses Souvenirs, parus naguère dans une revue florentine : la Revue Internationale ; en marge de sa narration, sa sœur, Christine Buloz, plus pondérée, traça quelques remarques que j’ai retrouvées ; elle écrivit : « Exagération ! » « Erreur ! » ou

  1. Le fait m’a été affirmé par M-« Fernande Blaze de Bury ; d’ailleurs, l’hôtel de Montmorin était voisin.
  2. Henri Blaze naquit en 1813.