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les Misérables, de Victor Hugo, et ce livre est, en ce moment, le bruit de la ville. Il faut voir aussi les réclames dont on infeste depuis un mois, à son sujet, tous les journaux de l’Europe. Mme Hugo et ses fils sont ici, passant leur vie à rédiger des annonces, et à voir des journalistes. Cette plaisanterie va même si loin que l’éditeur de l’ouvrage, M. Pagnerre, rencontrant au foyer du Vaudeville un de ses amis, lui disait quelques jours avant la mise en vente : « En vérité, je ne sais plus quand nous paraîtrons, les imprimeurs ne nous rendant pas les épreuves. Impossible d’obtenir rien des ouvriers : tous ces gaillards se sont mis à lire en imprimant, et ce diable de livre les émeut tellement, qu’ils en pleurent toute la journée, et que les larmes leur ôtent la vue ! » Est-ce beau cela ? Les imprimeurs chômant pour cause de sensiblerie, et tout cela à cause des infortunes de Fantine, ou de Jean Valjean ! Le livre a été payé trois cent mille francs par une compagnie, mais ce n’est pas tout, comme on a voulu faire dire en manière de réclame, que des traductions paraissaient le même jour dans toutes les langues de l’Europe, il a fallu payer ces traductions de ses propres deniers : traductions anglaise, allemande, suédoise, danoise, russe, que sais-je ! Autant de frais immenses ajoutés aux trois cent mille francs et puis, il y aura dix volumes, c’est-à-dire cinq publications[1]. »

Voici une autre lettre de Henri Blaze écrite, je pense, vers 1864, et concernant Alexandre Dumas père. Plus tard, en 1880, sur le désir d’Alexandre Dumas fils, et avec ses notes, Henri Blaze entreprit un livre sur l’auteur des Mousquetaires, qui est conçu avec admiration et respect ; on y sent l’influence filiale de l’ami d’Henri Blaze, qui veille à l’exécution de cet ouvrage, et en fournit les principaux éléments. Mais dans la lettre que l’on va lire, il n’est question ni d’admiration, ni de respect, et le critique, dont la plume est acérée, ne se contraint en rien lorsqu’il écrit à sa femme ; il dessine, pour le plaisir de celle-ci, un Dumas père assez burlesque, et tout à fait amusant.

« Alexandre Dumas a quitté hier Paris subitement, et l’histoire de ce départ atteint des proportions si pyramidales, qu’il faut que l’univers entier en soit informé.

« L’auteur de Monte-Cristo était donc à Paris depuis un mois environ, pour affaires de littérature. Mais ce n’était guère

  1. Inédite.