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On est saisi, dès l’entrée, par l’aspect, le calme et la blancheur de ce grand réfectoire de couvent aux murs garnis d’inscriptions coraniques. Les Derviches, en très haut bonnet brun, soupent là par petites tables, — une douzaine de petites tables rondes, basses presque au ras du sol, autour desquelles ils sont gravement accroupis sur les nattes du plancher ; des bougies, longues comme des cierges, les éclairent ; pendant le repas, l’un des religieux lit des prières, les autres l’écoutent en pieux silence et, à chaque pose, lorsque le lecteur s’arrête, tous, d’une voix profonde, prononcent en s’inclinant le nom d’Allah.

Notre hôte, le chef des derviches, est un homme encore jeune, instruit, très au courant de toutes les questions modernes, mais qui a su garder, ainsi qu’il sied à ses fonctions, la noblesse et la tranquille courtoisie des Turcs d’autrefois. D’ailleurs il porte le titre de « saint, » et son haut bonnet, qu’entoure un turban noir, sa robe sombre lui donnent très grand air. La table autour de laquelle nous sommes à ses côtés est cependant aussi basse et aussi petite que les autres ; seulement, la vaisselle y est plus précieuse ; c’est de la vieille porcelaine chinoise, venue sans doute de là-bas en des temps reculés. Après le souper, il nous emmène dans son salon particulier. Ici encore, bien entendu, aucun objet d’Occident ne vient rompre l’harmonie purement orientale. Trois ou quatre panneaux noirs, où des phrases du Coran sont écrites en caractères d’or, ornent seuls les murs ; de larges divans, quelques très petites tables pour poser le café et les cigarettes, c’est tout ce qu’il y a dans ce salon d’une austérité étrange.

Ensuite nous nous rendons à la mosquée du couvent pour assister à la cérémonie de la nuit sainte. Là, de la tribune où nous avons pris place, sur des tapis de prière, nous dominons l’espace réservé à la danse des Tourneurs ; c’est un grand cercle vide qui occupe tout le centre de la mosquée et qu’entoure une barrière. Le chef est resté en bas, à l’intérieur de ce cercle sacré ; debout et nous faisant face, il se tient immobile, rigide, comme anesthésié, les yeux en rêve. Un à un, les derviches arrivent, sortis sans bruit des lugubres, solitudes d’alentour ; ils arrivent les yeux baissés, les mains jointes sur la poitrine, dans la pose hiératique des momies égyptiennes. Ils sont revêtus de longues robes sombres, très amples, à mille plis, mais que des ceintures serrent beaucoup à leur taille mince. Ils commencent