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complète à attendre qu’il me dit d’aller me coucher. Pour ne pas avoir à rester trop longtemps sur mes pieds, j’avais la précaution d’apporter un oreiller et de me coucher sur le tapis au pied de son lit, afin de me reposer. J’avais le soin d’avoir l’oreille au guet, afin d’être sur mes pieds et près de lui au premier mouvement et la moindre parole que j’entendrais.

L’Empereur savait peu soigner sa santé. Il n’ignorait pas qu’un rien d’humidité l’enrhumait ; eh bien ! il lui arrivait souvent d’aller se promener dehors et de s’y laisser surprendre par la pluie. Plutôt que de rentrer à la maison à la première goutte d’eau, il continuait sa promenade et la conversation et se laissait mouiller. N’ayant qu’une culotte courte, des bas de soie et des souliers très minces, il se refroidissait facilement, et quand il rentrait à la maison, bas et souliers étaient comme si on les eût trempés dans l’eau. Il était absolument comme un enfant. Mais, quand il se sentait une fois pris, il prenait force précautions, qu’il abandonnait bientôt, dès qu’il se trouvait un peu mieux.


* * *

L’Empereur avait le cœur réellement bon et était capable d’un grand attachement. Dans son intérieur, à Sainte-Hélène, c’était un excellent père de famille au milieu de ses enfants. Sa mauvaise humeur n’était jamais de longue durée ; elle disparaissait peu de temps après qu’elle s’était montrée. Si le tort était de son côté, il ne tardait pas à venir tirer l’oreille ou à donner une claque à celui sur qui elle était tombée. Après avoir dit quelques mots relatifs à la fâcherie, il lui prodiguait les paroles si agréables de « Mon fils… Mon garçon… Mon enfant. » Que n’eût-on pas fait pour un tel homme, pour un tel Maître !

Si quelqu’un ne s’était pas conformé aux ordres qu’il avait donnés ou s’était conduit contrairement à ses intentions, il s’emportait facilement ; il accablait la personne des paroles les plus dures et menaçait même de la faire punir. Mais, le moment de vivacité passé, il revenait peu à peu à la modération. Ce n’était, jamais dans ses mouvements d’humeur qu’il souffrait les observations ; c’était le moyen de l’irriter au plus haut degré. Si l’on avait raison, il savait promptement le reconnaître. Effectivement, il n’était pas plus tôt seul, qu’il examinait l’affaire, non comme partie offensée ou offensante, mais comme un juge intègre. Il pesait les raisons de l’un et de l’autre, et prononçait