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stèles, parmi les cyprès au feuillage noir, aux ramures blanches dont les pointes, sous la pâleur du ciel de minuit, simulent, elles aussi, de colossales, d’obsédantes coiffures de derviches…


Samedi, 30 août.

Ce soir, à 9 heures et demie, je traverse Stamboul pour me rendre à la représentation nationale que les Turcs donnent en mon honneur. Dans les rues, la foule orientale est en grande fête de Ramazan, et au-dessus, dans le ciel noir, les minarets aériens ont leurs couronnes de feux. Tout le long du chemin, je suis acclamé. Devant le théâtre, la foule, qui m’attendait, délire en me voyant et les musiques jouent la Marseillaise. Quand j’entre dans ma loge, qui est garnie de tentures et de fleurs, la salle bondée se lève tout entière et les applaudissements ne cessent plus. Le Sultan, son fils et le prince héritier ont chacun envoyé un aide de camp pour me saluer de leur part.

Ail heures, toujours à travers la foule, dans la féerie des nuits du Ramazan, je regagne ma maison solitaire.


Lundi, 1er septembre.

Un grand dîner m’avait été préparé à Thérapia et l’on venait me chercher avec un vapeur tout pavoisé monté par une centaine de personnes. Mais, de son côté, le Sultan m’a envoyé prendre pour un dîner au palais du Vieux Sérail ; un dîner que, pour me faire plaisir, il a commandé à la mode ancienne, avec tout un cérémonial suranné et charmant. Il n’y a pas d’hésitation possible, je me fais excuser auprès de tous ces aimables gens de Thérapia et je me rends au Vieux Sérail.

Le Vieux Sérail !… Le nom de ce lieu unique au monde a pris à lui seul quelque chose d’imposant et de presque terrible. Le Vieux Sérail… c’est le promontoire qui termine l’Europe et qui s’avance magnifique et dominateur vers l’Asie voisine, tout chargé de cyprès centenaires, de kiosques de faïence et de marbre que remplissent des trésors de pierreries, dans un éternel silence de cimetières interdits. C’est là que, pendant un demi-millénaire, fut la résidence de ces sultans devant qui tremblait le monde, au milieu d’une pompe que nous n’imaginons plus, lieu immense qu’enferme une muraille de citadelle flanquée de monstrueux bastions carrés et surmontée, dans toute sa longueur, de hauts créneaux menaçants. Les ogives par