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donnait sur le bosquet : « Ali ! Ali ! tu dors ! » et en chantant :


Tu dormiras plus à ton aise,
Quand tu seras rentré chez toi,


il continuait l’ariette. Au même moment, j’ouvrais la fenêtre. « Allons donc, paresseux, criait-il en m’apercevant, ne vois-tu pas le soleil ? » Une autre fois, il disait plus simplement : « Ali ! Ali ! ah ! ah ! Allah ! il fait jour. » Marchand avait son tour, mais moins souvent parce que le côté où il logeait était moins fréquenté par l’Empereur. « Marchand ! Mamzelle Marchand, disait-il en l’appelant, il fait jour, levez-vous. » Quand Marchand était arrivé, il le regardait en riant et lui disait : « Avez-vous assez dormi cette nuit ? Votre sommeil a-t-il été interrompu ? Vous allez être malade toute la journée de vous être levé si matin, » et, prenant le ton ordinaire : « Allons, prends cette pioche, cette bêche, fais-moi un trou pour mettre tel arbre. » Pendant que Marchand faisait le trou, l’Empereur allait plus loin et voyant un arbre nouvellement planté : « Marchand, apporte ici un peu d’eau, arrose-moi cet arbre, » et, un moment après : « Va me chercher mon pied, ma toise ; » à un autre, près duquel il arrivait : « Va dire à Archambault qu’il apporte du fumier, et aux Chinois qu’ils coupent du gazon ; on n’en a plus, etc. etc. » Puis, passant à moi qui tenais une pelle pour charger de terre une brouette : « Comment ! Tu n’as pas encore fini d’ôter cette terre ? — Non, Sire ; cependant je ne me suis pas amusé. — A propos, coquin, as-tu fait le chapitre que je t’ai donné hier ? — Non, Sire. — Tu as mieux aimé dormir, n’est-ce pas ? — Mais, Sire, Votre Majesté ne me l’a donné qu’hier soir — Tâche de le finir aujourd’hui ; j’en ai un autre à te donner. » L’Empereur passant à Pierron, qui plaçait un gazon : « Comment ! Tu n’as pas encore terminé ce mur ?… As-tu assez de gazons pour le finir ? — Oui, Sire. » Puis, revenant de mon côté : « Quelle heure était-il, lorsque je t’ai éveillé cette nuit ? — Sire, il était deux heures. — Ah ! » et peu après, il me demandait : « Montholon est-il éveillé ? — Je n’en sais rien, Sire. — Va voir. Surtout ne le réveille pas ; laisse-le dormir. » Se dirigeant ensuite vers Noverraz qui piochait : « Allons, ferme ! (en appuyant sur le mot.) Ah ! paresseux ! qu’est-ce que tu as fait depuis ce matin ? -— Hier, Votre Majesté m’avait dit de faire goudronner la