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allait immédiatement rendre compte à l’Empereur de ce qui s’était passé.

Dès que la lettre était parvenue à l’Empereur, soit par M. de Montholon, soit par le Grand-Maréchal, il la renvoyait ou la jetait toute cachetée par la fenêtre. « Qu’est-ce qu’il me veut ? disait-il ; qu’il me laisse donc tranquille !… Je n’ai pas besoin d’avoir de correspondance avec un homme qui saisit toutes les occasions possibles de m’outrager. » Soit indisposition, soit mauvaise humeur, soit toute autre cause, l’Empereur restait dans ses appartements plusieurs jours de suite et ne mettait les pieds dehors que lorsqu’il était ennuyé, fatigué de sa réclusion. Si d’une part le mauvais temps l’empêchait quelquefois de sortir, quelquefois aussi il y avait intention, pour voir jusqu’à quel degré d’audace irait le gouverneur.

Une de ces scènes l’avait tellement irrité, au mois d’août 1819, avant l’arrivée des prêtres, qu’il avait fait fermer ses portes avec des verroux et fait mettre des barres derrière les volets de ses fenêtres ; il avait près de son lit ses fusils et ses pistolets chargés et, indépendamment, son épée, son sabre et son poignard. Il jurait d’étendre sur le seuil de la porte celui qui serait assez hardi pour franchir cette limite. Il ajoutait qu’on ne pénétrerait dans son intérieur que lorsque lui, Napoléon, ne serait plus qu’un cadavre. L’Empereur, croyant le gouverneur capable de tout, avait cru devoir prendre toutes les précautions nécessaires pour qu’on ne violât pas impunément son dernier asile.

Sir Hudson Lowe était l’homme le plus peureux et le plus soupçonneux qui existât parmi les Anglais. La nuit et le jour, il ne rêvait que la fuite de son prisonnier. Il fallait être bien simple cependant pour imaginer possible l’évasion d’un individu renfermé le jour dans une enceinte de quelques mille toises carrées, dominée de tous côtés par des montagnes, dont plusieurs endroits étaient occupés par des postes, ainsi que toutes les issues qui communiquaient à la mer, et la nuit, la maison environnée de factionnaires assez rapprochés les uns des autres, pour qu’un chat ne pût passer sans être aperçu. Tous ces obstacles n’étaient-ils pas assez puissants pour ôter au prisonnier l’idée de s’évader ? Indépendamment d’une surveillance très active, Sir Hudson Lowe comptait-il pour rien les difficultés à vaincre pour parvenir jusqu’à la mer ? Le jour, les sentiers frayés, s’il en existait, étaient déjà fort peu praticables pour un homme jeune