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blier sa gaieté. Son œuvre est gaie, comique, énormément comique parfois : elle va très volontiers à la bouffonnerie. Les moralistes ont deux tâches. L’une consiste à peindre nos défauts ; et l’autre, à nous donner les préceptes de la sagesse. M. Franc-Nohain, d’habitude, se tient à la première tâche ; mais on lui ferait tort en ne voyant pas que les préceptes sont cachés sous la peinture des défauts et que sa raillerie contient son enseignement.

Il a débuté, poète d’abord, à l’époque où florissait, où achevait de florir, la poésie des Symbolistes. Les Symbolistes avaient adopté une sorte de vers appelé le vers libre, et fort libre en effet, libre pourtant d’une manière qui ne va pas ou ne doit pas aller jusqu’au désordre. Il s’agissait alors de réagir contre certains abus de la rime et des règles fixes, rendues excessivement difficiles pour le plaisir de la difficulté vaincue, abus auxquels les derniers Parnassiens se livraient avec une espèce de frénésie méticuleuse. À vrai dire, c’était un peu hardi, imprudent peut-être : toujours est-il que les Symbolistes supprimaient la rime et refusaient de compter les syllabes du vers. Il leur fallut chercher une harmonie nouvelle, un rythme nouveau : c’est où la plupart d’entre eux échouèrent, où quelques-uns d’entre eux réussirent avec une heureuse ingéniosité. Le vers libre n’allait pas se substituer à l’ancien vers français, lequel a maintes valables raisons de durer, les œuvres qui le consacrent, puis sa beauté, les preuves qu’il a données d’une souplesse non pareille : le vers libre ne prétend, — ou ne doit prétendre, — qu’à être une autre forme de langage, vers libre ou, si l’on veut, prose poétique, d’ailleurs extrêmement poétique, belle et charmante. M. Franc-Nohain s’éprit de cette invention.

Or, il écrit, dans la préface de ses Fiches, qu’en sa jeunesse il a « raillé la poésie symboliste. » Il ajoute : « J’étais sensible au grotesque ; et rien ne m’irrite autant qu’un fat, un imbécile… » Enfin, c’est pour cela qu’il n’aime ni une certaine poésie et ni une certaine politique ; on dirait bien qu’il réunit dans une même opinion divers poètes et divers politiciens. « Parce que j’ai toujours tenu que l’ordre, la clarté, le bon sens, sont les qualités profondes de la littérature française ! » Les qualités profondes de l’esprit français qui, en littérature, en politique et en toutes choses, déteste l’absurdité. Quelques symbolistes, en effet, — par un malheur, les plus voyants, — n’avaient ni bon sens, ni ordre, ni clarté dans leurs ouvrages ; ils ont terriblement compromis le Symbolisme.

Cependant, M. Franc-Nohain, tout en n’étant pas dupe de la toquade symboliste, emprunta au symbolisme son vers adroitement