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La Fontaine ; la rime aussi serait de mise. Dans ses précédents ouvrages, il employait, avec une fantaisie heureuse, les vers « tantôt longs, tantôt courts, » — c’est à merveille ! — « au rythme qui se casse, à la rime cocasse, » ou bien sans rime. Cette fois, j’aurais voulu la rime, et non pas très cocasse, toute simple.

Mais que de vers délicieux ! Dans la fable des moulins, la rivière et le vent sont en querelle sur le point de savoir qui travaille mieux. La rivière se vante de bien moudre le blé du moulin…

Un sourire, à ces mots, passe et glisse sur l’onde…

C’est le vent qui survient.

Ce paysage, en deux vers, me ravit :

Au milieu d’un verger fleuri de pommiers blancs
Comme un bouquet de mariage…

Et ceci :

Certain barbon, que la trop bonne chère
Et l’abus des vins généreux
Avaient rendu poussif et catarrheux,
N’en était pas moins amoureux.
A tout âge on part pour Cythère ;
Mais le retour est plus aventureux…

A chacune des fables est jointe une moralité, comme dans La Fontaine : moralité recommandable, gentil conseil, avertissement futé ; puis allez vivre sans timidité ni imprudence.

D’ailleurs, il est question, dans ces fables nouvelles, de voitures automobiles, des allumettes que l’État nous vend, de mille choses qui ne sont pas du temps de La Fontaine. Et il y a, dans ces fables, l’esprit de M. Franc-Nohain, qui est un homme d’aujourd’hui, son esprit farceur et qui volontiers tourne en plaisanteries les opinions qu’il aime de tout son cœur ; il y a ses finesses de sentiment, ses jalousies de sentiment, sa rudesse parfois et la douceur du badinage qui le console. Il a montré qu’on n’est point en servage, — et qu’on n’est point « à l’instar, » — en suivant La Fontaine, en suivant l’exemple de la douce France.


ANDRE BEAUNIER.