Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ruines sombres où pointent partout des minarets blancs…

Jamais encore je n’avais vu ma chère tombe à une heure aussi tardive, presque nocturne, et c’est le soir où je vais lui dire adieu… Mais les ors qui persistent à briller en haut des stèles, au milieu de ce suprême délaissement des entours, où tombe le silence de la nuit, attestent qu’au moins le souvenir de ma petite amie continue de vivre ; elle n’est pas, elle, comme cette cendre si oubliée qui l’environne.

L’immense Stamboul a allumé ses mille petites lumières, quand nous le traversons pour rentrer au logis, sous la lune de tout à l’heure qui maintenant resplendit en l’air.


Lundi, 15 septembre.

Stamboul. — Préparatifs pour quitter à jamais notre petite maison de Féthié. Beaucoup de visites ce matin, entre autres celles de Mme Zénour et de ses deux sœurs. Très voilées toutes les trois, elles arrivent escortées de leur esclave négresse. Et c’est si drôle de voir ici Zénour, que j’avais connue en France si Parisienne, redevenue maintenant plus Turque encore qu’au temps des « désenchantées ; » mais aujourd’hui, elle me fait sa visite dans mon logis à moi, où nous sommes en sûreté, et non, plus dans ces logis clandestins, où l’on se sentait tout le temps en péril.

Dans mon salon turc, je reçois naturellement mes invitées à la turque, en leur offrant la traditionnelle tasse de café.

Lorsqu’elles doivent repartir, il y a deux voitures en bas, dans cette impasse si déserte avant que je l’habite et où ma présence cause maintenant une animation anormale. Je conduis les trois dames voilées et leur négresse à l’une de ces voitures et je monte dans l’autre ; tout cela, sans me préoccuper de la police qui nous surveille et devant tous les enfants du quartier assemblés pour nous voir… C’est égal, comme les temps sont changés depuis l’époque où Abd-ul-Hamid, du fond de son palais d’Yeldiz, jetait son oppression et sa terreur !


Mardi, 16 septembre.

La veille du grand départ. Journée agitée et pleine de complications qui ne me laisse pas le temps de penser. J’ai à faire mes adieux à tout le Bosphore.