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voiture de louage traînée par un vieux cheval. Nous partons cahin-caha, longeant les grands murs gardés de sentinelles du palais où le « Sultan Rouge » est captif. Par des sentiers de montagne, dans la poussière, sous une terrible chaleur, nous finissons par arriver au palais de Tchamlidja. Le prince, qui n’a pas reçu ma dépêche, est parti pour l’autre rive du Bosphore (pour Dolma Bagtché, appelé par le Sultan). Repos dans le frais palais oriental, où des eunuques nous servent des sorbets. Pendant ce temps, on a attelé une belle voiture du prince qui nous ramène à l’embarcadère où nous reprenons notre mouche. De là, je me fais conduire à bord du Henri IV, le grand bateau envoyé par la France depuis la guerre balkanique ; je dis adieu au commandant qui fut mon compagnon en Chine, il y a douze ans.

La journée s’avance, je me fais enfin déposer par ma mouche à Stamboul, à l’échelle de Sirkedji. Là, vite une voiture, car j’ai de derniers achats à faire au Bazar. Le jour baisse ; pourvu qu’il ne soit pas trop tard, que je ne trouve pas les boutiques fermées ! Il était juste temps ; il s’en allait, le marchand turc avec lequel j’étais en marché depuis plusieurs jours, comme le font en Orient les habitués des bazars. Cette fois, c’est mon dernier soir, il faut conclure. Je m’attarde pourtant encore à discuter, à choisir. Quand enfin mes tapis et mes coussins sont empaquetés, ficelés et que, le marchand et moi, nous voulons sortir, le Bazar a déjà fermé ses portes de fer ; nous sommes prisonniers, errant dans la pénombre des ruelles voûtées. Nous arrivons au poste d’un veilleur de nuit qui, après beaucoup d’hésitation, finit tout de même par nous délivrer. — Ouf ! — Stamboul a déjà allumé ses mille lanternes. Me voici sans voiture, avec mon lourd paquet de tapis et de coussins sous le bras. Je me dirige vers la place de Mahmoud-Pacha, qui heureusement n’est pas loin. Là, chacun méconnaît et l’on me donne un porteur pour mon colis. Nous allons ensemble, le porte-faix et moi, à Divan Youlou, où stationnent toujours des voitures. Mais aucun cocher ne veut me conduire jusqu’à mon quartier perdu : cinq kilomètres… fondrières… on ne sait pas le chemin… disent-ils. Cependant, en voici un qui consent à me prendre jusqu’à la mosquée Féthié ; mais là, il refuse d’aller plus loin. Force m’est de descendre de voiture et, toujours avec mon lourd paquet sous le bras, de faire à pied la longue route qui me sépare encore de ma maison. Enfin, je suis chez moi I Mes domestiques alignés me reçoivent