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que le passant superficiel prendra demain pour de la pierre de taille, les brèches creusées dans la muraille par les projectiles adventices. Et c’est parce que les hypothèses sont dans la science quelque chose qui ressemble à cela, que les meilleures théories scientifiques sont celles dont l’assemblage comporte le moins d’hypothèses.

Mais j’ai tort d’écrire, à propos de tout ceci, ce mot au pluriel, car il se trouva finalement qu’une seule et unique hypothèse permettait, à l’exclusion de toute autre, d’expliquer convenablement le résultat négatif de l’expérience de Michelson. Ceci d’ailleurs est rare et remarquable, car en général les hypothèses poussent comme des champignons dans chaque coin un peu sombre de la science, et on en trouve tout de suite vingt différentes pour expliquer la moindre incertitude.

Cette hypothèse unique qui semblait pouvoir tirer les physiciens de l’embarras où les avait plongés Michelson fut imaginée d’abord par le savant irlandais Fitzgerald, puis reprise et fécondée par l’illustre Hollandais Lorentz, le Poincaré néerlandais, qui est un des plus merveilleux cerveaux de ce temps, et sans qui Einstein n’aurait pas plus existé que Kepler n’eût existé sans Copernic et Tycho-Brahé.

Voici maintenant en quoi consiste l’hypothèse aussi simple qu’étrange de Fitzgerald-Lorentz…

Mais auparavant, une remarque importante s’impose. Beaucoup de bons esprits ont, — d’ailleurs après coup, — prétendu que le résultat de l’expérience de Michelson ne pouvait être que négatif a priori. En effet, — ont-ils raisonné, ou à peu près, — le principe de relativité classique, celui que Galilée et Newton connaissaient déjà, veut qu’il soit impossible à un observateur participant à la translation uniforme d’un véhicule, de mettre en évidence, par des faits observés sur le véhicule, les mouvements de celui-ci. Cela fait que quand deux navires ou deux trains se croisent[1], il est impossible aux passagers de connaître lequel est en mouvement, lequel va plus vite : tout ce qu’ils peuvent connaître, c’est la vitesse de l’un des trains ou des navires, par rapport à l’autre. On ne peut connaître que des vitesses relatives. Or, ont dit les bons esprits auxquels je fais allusion, si l’expérience Michelson avait donné un résultat positif,

  1. On suppose, bien entendu, qu’il n’y a ni roulis ni tangage dans le navire ni trépidation dans le train.