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mouvement absolu qu’on aurait connu, c’est tout au plus un mouvement par rapport au centre de gravité de notre univers à nous, point de repère lui-même irréductible à un autre absolument immobile. Le principe de relativité classique n’aurait été en rien choqué.

Le résultat de l’expérience de Michelson pouvait donc, dans ces hypothèses, être aussi bien positif que négatif sans heurter, — quoi qu’on en ait dit, — le relativisme classique. En fait, il s’est trouvé négatif, et voilà tout : l’expérience a prononcé, mais elle seule pouvait prononcer.

Ces nuances n’ont pas échappé à Poincaré[1], qui disait notamment : « Par véritable vitesse de la terre, j’entends, non sa vitesse absolue, ce qui n’a aucun sens, mais sa vitesse par rapport à l’éther… » L’existence possible d’une vitesse décelable par rapport à l’éther n’apparaissait donc nullement comme une absurdité à celui qui a écrit : « Quiconque parle de l’espace absolu emploie un mot vide de sens. »

L’expérience, seule, a prouvé et était capable de prouver qu’on ne peut mesurer la vitesse d’un objet par rapport à l’éther. Mais enfin, elle l’a bien prouvé. Et après tout, puisqu’il est évidemment dans la nature des choses que nous ne puissions déceler de mouvement absolu, n’est-ce pas parce que la vitesse de la terre par rapport à l’éther constitue une vitesse absolue, que nous n’avons pu la déceler ? Peut-être, mais c’est indémontrable. Si oui, — mais il n’est pas sûr que ce soit oui, — c’est finalement l’expérience, seule source de la vérité, qui tend à nous montrer ainsi, indirectement, que l’éther est réellement identique à l’espace. Mais alors un espace vide d’éther, ou dans

  1. Il est assez digne de remarque que, dans tout ceci, la démarche de la pensée de Poincaré a marqué quelque hésitation. À propos d’expériences analogues à celles de Michelson, il s’écriait : « Je sais ce qu’on va dire, ce n’est pas sa vitesse absolue qu’on mesure, c’est sa vitesse par rapport à l’éther. Que cela est peu satisfaisant ! Ne voit-on pas que du principe ainsi compris on ne pourra plus rien tirer. » Par où l’on voit que Poincaré, bon gré mal gré, et tout en s’en défendant, avait une tendance à trouver « peu satisfaisante » la discrimination de l’espace et de l’éther. J’avoue que l’argument de Poincaré ne me paraît pas, lui non plus, tout à fait satisfaisant, ou du moins convaincant. « La nature, a dit Fresnel, ne se soucie pas des difficultés analytiques. » Je pense qu’elle ne se soucie pas non plus des difficultés philosophiques ou purement physiques. Penser qu’une conception des phénomènes est d’autant plus adéquate au réel qu’elle est plus « satisfaisante, » qu’elle s’adapte mieux aux infirmités de notre esprit n’est peut-être pas un critérium inattaquable. Sinon, il faudrait bon gré mal gré en arriver à penser que l’Univers est nécessairement adapté aux catégories de notre esprit, qu’il est constitué de manière à nous causer le moins de perplexités