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remment contradictoires que s’est attaché Lorentz, après Fitzgerald, par l’hypothèse étrange de la contraction.

Mais voici que, lumineusement, Einstein va nous montrer que cette contraction est une chose parfaitement naturelle lorsqu’on abandonne certaines conceptions erronées… encore que classique, qui présidaient à notre manière, habituelle, ancestrale, d’apprécier les longueurs et les temps.

Considérons un objet quelconque, une règle par exemple. Qu’est-ce qui définit pour nous la longueur apparente de cette règle ? C’est l’image délimitée sur notre rétine par les deux rayons provenant des deux extrémités de la règle, et qui parviennent à notre pupille simultanément. J’ai souligné à dessein ce mot, car il est ici la clef de tout. Si notre règle est immobile devant nous, cela est tout simple. Mais si on la déplace pendant que nous la regardons, ce l’est moins. Ce l’est même si peu, qu’avant Einstein, la plupart des plus grands savants et toute la science classique ont pensé que l’image instantanée d’un objet indéformable était nécessairement et toujours identique et indépendante des vitesses de l’objet et de l’observateur. C’est que toute la science classique raisonnait comme si la propagation de la lumière avait été elle-même instantanée, avait eu une vitesse infinie, ce qui n’est pas.

Je suis sur le talus, au bord d’une ligne de chemin de fer ; sur la voie il y a un de ces beaux wagons allongés de la Compagnie des wagons-lits, où il est si agréable de penser que l’espace est relatif, au sens galiléen du mot. Je fais planter tout au bord de la voie deux piquets l’un bleu, l’autre rouge, qui marquent exactement les extrémités de ce wagon et qui encadrent tout juste sa longueur. Puis, sans quitter mon poste d’observation qui est sur le talus, face au milieu du wagon, j’ordonne que celui-ci soit ramené en arrière et attelé à une locomotive d’une puissance inouïe qui va le faire passer devant moi à une vitesse fantastique, des millions de fois supérieure a toutes celles qu’ont pu réaliser les ingénieurs… tant est grande la supériorité potentielle de l’imagination sur la médiocre réalité. Je suppose aussi que ma rétine est parfaite et constituée de telle sorte que les impressions visuelles n’y durent qu’autant que la lumière qui les provoque. Ces hypothèses un peu arbitraires n’entrent pour rien dans le fond de la démonstration ; elles la rendent seulement plus commode.