Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/357

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pourquoi exigerez-vous, dirai-je aux partisans du classicisme, que l’action représentée dans une tragédie net dure pas plus de vingt-quatre ou de trente-six heures, et que le lieu de la scène ne change pas, ou que du moins, comme le dit Voltaire, les changements de lieu ne s’étendent qu’aux divers appartements d’un palais ?


L’ACADEMICIEN.

Parce qu’il n’est pas vraisemblable qu’une action représentée en deux heures de temps comprenne la durée d’une semaine ou d’un mois, ni que, dans l’espace de peu de moments, les acteurs aillent de Venise en Chypre, comme dans l’Othello de Shakspare ; ou d’Ecosse à la cour d’Angleterre, comme dans Macbeth.

LE ROMANTIQUE.

Non seulement cela est invraisemblable et impossible ; mais il est impossible également que l’action comprenne vingt-quatre ou trente-six heures.

L’ACADEMICIEN.

A Dieu ne plaise que nous ayons l’absurdité de prétendre que la durée fictive de l’action doive correspondre exactement avec le temps matériel employé pour la représentation ! C’est alors que les règles seraient de véritables entraves pour le génie. Dans les arts d’imitation, il faut être sévère, mais non pas rigoureux. Le spectateur peut fort bien se figurer que, dans l’intervalle des entr’actes, il se passe quelques heures, d’autant mieux qu’il est distrait par les symphonies que joue l’orchestre.

LE ROMANTIQUE.

Prenez garde à ce que vous dites, monsieur, vous me donnez un avantage immense ; vous convenez donc que le spectateur peut se figurer qu’il se passe un temps plus considérable que celui pendant lequel il est assis au théâtre. Mais, dites-moi, pourra-t-il se figurer qu’il se passe un temps double du temps réel, triple, quadruple, cent fois plus considérable ? Où nous arrêterons-nous ?


La discussion continue sur le même ton. A vrai dire, à peu près toutes les idées de Stendhal en la matière, et jusqu’au mot qu’il employa d’abord, le romanticisme, viennent d’Italie. Sa définition fameuse : « Le romanticisme est l’art de présenter aux peuples les œuvres littéraires qui, dans l’état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible ; le classicisme, au contraire, leur présente la civilisation qui donnait le plus de plaisir possible à leurs arrière-grands-pères, » — résume les idées que Berchet