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quera peut-être d’autres : elles sont, jusqu’ici, à l’abri de l’accusation de plagiat. Nous aurions ainsi un point d’arrivée, au terme de son art. Le point de départ est constitué par ces Vies de Haydn, Mozart et Métastase, par cette Histoire de la peinture en Italie, dont on peut dire dès maintenant qu’elles ne sont guère autre chose qu’un long plagiat, saupoudré de quelques ornements personnels. Longtemps Stendhal a poursuivi l’idée d’une comédie géniale, qui lui donnerait tout d’un coup la gloire avec la richesse et ferait voler son nom sur les lèvres des hommes en même temps qu’elle remplirait sa bourse. Cette comédie, malgré des efforts obstinément répétés, il se trouve incapable de l’écrire. Il ne peut produire et devenir auteur qu’en s’aidant subrepticement du labeur d’autrui. Il ne dédaigne pas cette aide dans les œuvres qui suivent ; mais elle lui est moins nécessaire. Sa personnalité s’affirme davantage. Rome, Naples et Florence est la manifestation d’un génie autrement original. Certes, la courbe qu’il suit n’est pas harmonieuse, et son mouvement n’a rien de régulier ; avec les Chroniques italiennes, il reviendra même au genre commode des traductions embellies. Mais enfin, d’une œuvre à l’autre, il n’est pas identique à lui-même ; sa personnalité va s’affirmant. Le moment arrive enfin où il verse dans deux œuvres maîtresses tous ses souvenirs de jeunesse, tous ses rêves de conquérant, toutes ses constructions d’idéologue, et ses désirs d’énergie surhumaine, et ses visions de femmes fières, mélancoliques et tendres : sa vie, telle qu’elle a été, et mieux encore telle qu’il eût souhaité qu’elle fût. La raison qui explique la supériorité de ses deux grands romans sur toutes ses autres œuvres, c’est qu’il a évolué, c’est qu’aux mosaïques paresseuses et disparates, il a substitué la peinture fidèle de son propre cœur, à la fin.

À moins, — qui sait ? — qu’on ne découvre un jour des plagiats même dans le Rouge et le Noir, même dans la Chartreuse de Parme. Alors il faudrait revenir à la conception d’un Stendhal toujours identique à lui-même : mais non pas, à vrai dire, tel qu’on se le figurait jusqu’ici.

Paul Hazard.