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LE DRAME IRLANDAIS

I
LES ORIGINES

La grande guerre a partout changé la face du monde : nulle part plus qu’en Irlande. L’Irlande, à la veille de la catastrophe, avait un parti puissant à la Chambre des Communes, et venait de voir enfin voter par le Parlement britannique le home rule, objet de ses revendications traditionnelles ; or dès 1918 elle avait renoncé àl’aclion parlementaire et constitutionnelle, ses maîtres étaient les « extrémistes, » et ce n’est plus le home rule, l’autonomie relative et octroyée qu’elle réclamait, c’est l’indépendance, la République… L’Irlande, autrefois, avait horreur du sang versé ; en nul pays le crime n’était plus rare, et une fois sur deux, aux Assises, on voyait le juge recevoir du shériff la symbolique paire de gants blancs, signe qu’il n’avait personne à condamner de ses blanches mains ; or hier encore, comme depuis deux ans, la terre d’Erin était à feu et à sang : attentats et représailles faisaient loi ; c’était le règne de la terreur… Le 3 août 1914, au Parlement, sir Edward Grey a déclaré que l’Irlande était « le seul point lumineux à l’horizon de l’Empire et du monde. » Pourquoi s’est-il obscurci ? L’Irlande a fourni, pendant la première partie de la guerre, un bel effort militaire, et son cœur n’a jamais cessé, sauf chez une infime minorité, de vibrer pour la cause des Alliés et de la liberté. Pourquoi faut-il qu’elle se soit peu à peu détournée de l’œuvre commune, repliée égoïstement sur elle-même, et qu’on ait pu voir accoler à son nom l’épithète de « neutre » ou d’« ennemie, » et convaincre certains de ses fils dévoyés de menées germanophiles ?