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gouvernement anglais et ne veut de guerre que contre l’Angleterre, s’oppose au recrutement, et sépare ses adhérents du gros des volontaires nationaux qui p3rdent ainsi une fraction de leurs troupes au profit du clan révolutionnaire. Néanmoins, la propagande de Redmond sait convaincre l’Irlande qu’elle se doit de prendre part à la lutte pour la justice et la liberté ; son succès, dans les derniers mois de 1914 et on 1915, est incontestable. Une statistique officielle, en 1916, fixe à 130 000 le nombre des recrues levées jusqu’alors en Irlande, ce qui, avec les 57 000 Irlandais se trouvant déjà sous les drapeaux lors de la guerre, et avec les marins de la flotte, ferait ressortir à plus de 200 000 le nombre des hommes que l’Irlande a alors donnés à la guerre, sans compter toutes les dizaines de milliers d’Irlandais résidant et engagés en Angleterre, ou qui, ayant émigré, se sont battus sous les couleurs australiennes, canadiennes ou américaines : chiffres d’autant plus notables qu’on sait que, sur une population de 4 millions d’âmes, l’Irlande n’a qu’une proportion mâle adulte très inférieure à la normale, du fait de l’émigration qui lui enlève chaque année la fleur de sa jeunesse. De cet effort militaire du début de la guerre, l’honneur ne lui a pas toujours été compté. Les voix anglaises les moins suspectes lui ont pourtant rendu justice. Dès le mois d’août 1915, le Times déclarait qu’elle avait fourni sa part proportionnelle d’hommes à l’armée. Et quelques mois après, Lord Kitchener, ministre de la guerre, félicitait lui-même l’Irlande de la « magnifique réponse », qu’elle avait faite à l’appel pour les hommes.


IV

L’Irlande peut donc revendiquer le mérite d’avoir fait son devoir pendant les premiers temps de la guerre. Elle l’a fait sans calcul ni ambition, sur la foi de la seule promesse de la liberté. Maintenant c’était à l’Angleterre à faire le sien vis-à-vis de l’Irlande. Elle doit à l’Irlande la liberté promise, elle lui doit la justice et la bienveillance : comme il lui eut été facile alors de faire pour jamais sa paix avec elle ! Mais l’Angleterre, absorbée par la guerre, rassurée d’ailleurs sur sa sécurité en Erin, ne s’inquiète plus de l’Irlande. Elle avait besoin, pour l’opinion du monde, d’avoir l’Irlande à ses côtés : elle l’a, et, l’ayant, ne se soucie plus de l’Ile sœur. C’est, de 1914 à 1916,